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Eric Dupond-Moretti : "La justice a tué le secret professionnel"

Par La Rédaction

On le surnomme ‘Acquitator’, mais lui préfère ‘Bête noire’. Célèbre pour trouver la petite faille dans le dossier qui fera tout tomber, il a plus de 120 acquittements à son actif. Roselyne Godard, dans le procès Outreau, c’est lui. Le docteur Muller, accusé du meurtre de sa femme, c’est lui. Loïc Sécher, accusé de viol, c’est lui. Il est l’un des avocats les plus célèbres de France, mais c’est dans la chasse et la bonne bouffe qu’il se ressource et dans les films dans lesquels il joue depuis plusieurs années qu’il consacre ses heures perdues. Bourreau de travail pour qui refuser un dossier est un crève-cœur, détesté par les uns mais adulé par les autres, tous se rejoignent sans hésiter pour le prendre comme avocat en cas de besoin.

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Sud Radio : Vous êtes ici pour la sortie de votre troisième livre, Directs du droit, aux éditions Michel Lafon, livre que vous avez écrit avec le journaliste Stéphane Durand-Souffland. Dans ce livre, à mi-chemin entre 'Faites entrer l’accusé' et cours théorique du droit, vous dénoncez une justice qui cherche à tout prix à juger, qui oublie les droits de la défense, de la présomption d’innocence. Vous citez entre autres des grands procès comme celui de Xynthia ou de Dominique Strauss-Kahn. Vous écrivez même : "La justice se fourvoie quand elle perd de vue ce pourquoi elle a été organisée, faire du droit, pas de la morale." Pourquoi cette attaque ?Parce qu’elle est justifiée, tout simplement. Ce n’est pas un coup de gueule, c’est un livre de raison, c’est un livre qui a été pensé et les anecdotes qui sont là le sont pour illustrer le propos. Première dérive, la moralisation à tout crin. On vit dans une société qui est hyper-moralisée, hyper-moralisatrice. Par exemple, on poursuit Dominique Strauss-Kahn durant toute l’instruction pour des faits qui, en réalité, ne vont donner lieu à aucune condamnation pénale. Ça, c’est la première dérive.L’autre dérive, c’est la transparence. Il faut tout savoir sur tout le monde et la justice s’est autorisée à tuer le secret professionnel des avocats, qui ne protège pas les avocats contrairement à ce que l’on peut penser, mais qui protège en réalité, surtout, le justiciable. Vous venez me voir, vous me parlez de votre vie intime, vous avez pu inventer un brevet, vous avez des difficultés fiscales, tout ça, c’est le secret professionnel. La justice a purement et simplement tué le secret professionnel.La dernière est victimaire. On ne pense plus que par et pour les victimes. Ce faisant, on leur fait du mal. On fait ça, au fond, sur un coup de cœur, mais la justice ne se rend pas sous l’empire de l’émotion. Ça donne souvent des catastrophes.

"Quand on n'a pas le recul suffisant pour être juge, il faut changer de métier"

Vous avez un exemple ?Dans le livre, j’évoque longuement le procès de la Faute-sur-Mer, où les juges eux-mêmes sont tellement accablés, touchés, par la douleur, le chagrin de leurs victimes, qu’ils vont voir, pendant le procès, une cellule psychologique d’urgence. Excusez-moi, mais quand on n’a pas le recul suffisant pour être juge, il faut changer de métier.Vous y croyez toujours en cette justice ?Évidemment, sinon je ne ferais pas ce que je fais.

Eric Dupond-Moretti

©NICOLAS TUCAT / AFP
Eric Dupond-Moretti

Pourtant, vous citez dans votre livre une affaire où un chien a été cité non comme témoin, mais comme une preuve possible du meurtre ou pas de sa maîtresse, ce dont a résulté une analyse de 15 pages... Vous avez même voulu aller plus loin et le faire citer en tant que témoin.C’est une femme qui se suicide sur une péniche et les hommes qui sont accusés de son meurtre vont être acquittés à deux reprises, sans aucune ambiguïté. Ce n’est pas au bénéfice du doute, mais au bénéfice de la certitude.Et il y a un juge qui conçoit cette loufoquerie totale, qui consiste à faire venir le chien de la défunte, de cette femme qui s’est donnée la mort, et présente le chien aux deux accusés, dans l’espoir que le chien, de par son attitude, en dénonce l’un ou l’autre, voire les deux.Naturellement, je pense qu’on a touché le fond. J’envisage alors, mais c’est une boutade, de faire citer le chien comme témoin.Finalement, il n’est pas venu témoigner mais ils ont été acquittés. C’est extraordinaire parce qu’on avait fait venir un professeur de l’école vétérinaire, qui s’appelle Mouton, ça ne s’invente pas. Il regardait les réactions du chien. J’avais constaté, dans le procès-verbal qui faisait plusieurs pages, que le chien était très bien avec le policier qui en avait la garde et quand il voyait les avocats débarquer dans la péniche, il ne bougeait plus la queue, il n’était plus trop content. J’en avais déduit, qu’au fond, il préférait la police à la défense.

"L'école nationale de la magistrature fait des juges une caste"

Au début de votre livre, vous citez Olivier Laurent, le directeur de l’école nationale de la magistrature, qui met en garde ses élèves en leur disant ‘Vous allez exercer un métier dangereux pour les autres’. Vous, Eric Dupond-Moretti, est-ce que votre métier est dangereux ?Il est dangereux quand je le fais mal, quand je ne défends pas ou mal celui que j’ai l’honneur de défendre. Il faut que l’avocat soit présent, actif, qu’il connaisse son dossier, qu’il ait travaillé. Bien sûr qu’un homme qui est défendu par un avocat qui n’a rien fait ou qui le fait mal, c’est dangereux, mais ça reste moins dangereux, dans l’absolu, que le juge qui n’a pas travaillé son dossier, le juge qui est à charge, le juge qui ne veut pas voir les évidences, le juge qui veut, à toute fin, condamner. Des comme ça, j’en connais, malheureusement. Olivier Laurent ne fait pas partie de ceux-là. Ce qui est absolument extraordinaire, c’est qu’il a exercé les fonctions de président de Cour d’assises, il est aujourd’hui à la tête de l’école nationale de la magistrature, que je voudrais voir dissoute, et c’est un très grand magistrat.

Eric Dupond-Moretti

©JOEL SAGET / AFP
Eric Dupond-Moretti

Pourquoi voulez-vous que l’école nationale de la magistrature soit dissoute ?Je pense qu’elle a pour premier méfait, si vous me permettez cette familiarité, d’encaster les juges, d’en faire une caste. On est entre soi, à l’école du juge. Je voudrais que, comme dans tous les grands pays d’Europe, l’école nationale de la magistrature disparaisse, que les futurs juges soient d’anciens avocats, qu’il y ait une formation commune. Au moins, on serait mieux reçus qu’on ne l’est parfois dans les bureaux de certains juges.

"La même journée, je peux plaider pour le chef des Bonnets rouges et des entrepreneurs fortunés. Ce grand écart et cet éclectisme me plaît infiniment"

Vous refusez dix dossiers par semaine. Comment est-ce que vous faîtes votre choix ?Le choix, c’est d’abord ma disponibilité, je ne peux pas me couper en deux. C’est ensuite l’intérêt que je porte à l’affaire. C’est aussi et parfois l’argent, parce que je vis de mon métier. J’ai la chance, dans la même journée, d’aller plaider pour Joe Baron à Rennes, qui est le chef des Bonnets rouges, et d’aller plaider, le même jour, à Marseille, pour des entrepreneurs monégasques qui sont des gens fortunés. Ce grand écart et cet éclectisme me plaît infiniment.Dans ce grand écart, vous avez toujours dit que tout le monde était défendable et que s’il le fallait, vous défendriez même Hitler…Là, on est au paroxysme des choses, mais c’est pour dire que tout homme doit pouvoir être défendu. C’est le message que tous les avocats font passer depuis toujours. C’est aussi un message de la loi. Pour tout homme, devant certaines juridictions, les plus lourdes, la Cour d’assises en particulier, la défense par un avocat est obligatoire, bien sûr. Un avocat, c’est quelqu’un qui défend, c’est son métier.

Eric Dupond-Moretti

©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Eric Dupond-Moretti

Après tant d’années, est-ce que vous avez toujours autant d’amour pour votre métier ?Oui, bien sûr. La seule façon, à mon avis, de ne pas travailler, c’est de faire un métier que l’on aime.

"Claude Lelouch m'a fait un cadeau inouï"

À propos de métier, vous en découvrez un nouveau, récemment. Le 15 mars sortira ‘Chacun sa vie’ au cinéma, un film de Claude Lelouch avec un casting incroyable, Jean Dujardin, Gérard Darmon, Johnny Hallyday… Pourquoi cette nouvelle étiquette ?Ce n’est pas une nouvelle étiquette. Claude Lelouch m’a proposé d’aller faire ça. J’entends définir seul le périmètre de ma liberté, de ma vie privée, de mes loisirs. J’y suis allé et je me suis régalé. J’arrive là comme un gamin qui découvre un monde qu’il ne connaît pas, des étoiles dans les yeux. Tout est sujet à émerveillement : la façon dont les maquilleuses maquillent, la façon dont les habilleurs sont présents, les travellings, les techniciens, les preneurs de son, les cameramans. Claude Lelouch en pleine activité, c’est un truc absolument incroyable. L’énergie positive que dégage cet homme, ça vous porte. Et le jeu des acteurs, voir comment toutes ces choses se passent… C’est un bonheur. Claude Lelouch m’a fait un cadeau inouï.Vous jouez le rôle d’un juge ?J’incarne un président de Cour d’assises, mais je vais tempérer votre enthousiasme. Celui-là fréquente les prostituées. C’est un notable de province très humain mais il va prendre une magistrale leçon d’humanité par une prostituée dont il est tombé amoureux et ce rôle est incarné par Béatrice Dalle. Le grand juge qui sait tout, finalement, ne sait pas grand-chose.

"Je pense qu'il faut s'aimer soi-même pour aimer les autres"

Est-ce que vous vous aimez ?Oui, mais je me trouve des travers.Lesquels ?Ça, ça ne vous regarde pas. Mais l’œil a d’abord du mal à se regarder voir. Je pense qu’il faut s’aimer soi-même pour aimer les autres.Et vous aimez les autres ?Oui j’aime les autres et je ne suis pas toujours d’accord avec moi-même, c’est la formule de Paul Valéry. Donc tout ça est infiniment compliqué. Ça mérite une psychanalyse qui durerait au moins quatre ou cinq ans.Propos recueillis par Juliette de Noyelle pour Sud Radio

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