La laïcité est réinterrogée ce mois-ci lors de multiples colloques, organisés notamment au Sénat, à la Grande Loge de France, par la Fondation Jean-Jaurès, dans de nombreuses universités...
Le Premier ministre Sébastien Lecornu se rendra lundi matin à Houlbec-Cocherel (Eure) pour se recueillir sur la tombe d'Aristide Briand à l'occasion du 120e anniversaire du texte. Il "témoignera de son attachement à cette loi et réaffirmera l'engagement de l'État dans cette vocation à l'heure où les violences à caractère anti-religieux augmentent de façon inquiétante dans le pays", selon Matignon.
La loi définit-elle clairement la laïcité ?
La loi de séparation des Églises et de l'État, promulguée le 9 décembre 1905, est le texte fondateur du principe de laïcité, même si paradoxalement elle ne mentionne pas expressément ce concept.
"Il y a autant de définitions de la laïcité qu'il y a de philosophies politiques", résume Valentine Zuber, historienne à l'École pratique des hautes études (EPHE).
La loi prévoit que "la République assure la liberté de conscience" et "garantit le libre exercice des cultes" dans le respect de l'ordre public. Mais "elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte".
Cela suppose, souligne Valentine Zuber, trois critères permettant de définir la laïcité: liberté de conscience et de culte, autonomie de l'État par rapport aux prescriptions religieuses et non-discrimination des individus en fonction de leurs convictions.
Le contexte a-t-il changé ?
Oui, car le pays s'est à la fois sécularisé (la société s'éloigne de la religion) et diversifié: l'Église catholique, hier dominante, a reculé, tandis que les musulmans représentent de 7 à 10% de la population, les évangéliques se développent...
Plusieurs conceptions s'affrontent. D'une part, une interprétation "axée sur la laïcité comme droit humain", promouvant la liberté d'expression des individus dans l'espace public, explique Valentine Zuber. D'autre part, une définition "plus franco-française, qui considère qu'il y a des limites à cette liberté d'expression, en particulier en matière d'apparence ou de discours religieux", selon elle.
Mais l'historienne souligne que ce débat est aussi vieux que la loi car "ce qui traverse toute l'histoire de France, et pas seulement face aux faits religieux, c'est: est-ce que ce sont des convictions parmi d'autres ou des choses irrationnelles, qu'il s'agit de combattre pour s'en émanciper ?"
L'école, un point de crispation
La laïcité, qui prévoit la neutralité de l'État mais pas celle des usagers, est parfois questionnée dans les hôpitaux, administrations, entreprises... et surtout à l'école, point de crispation récurrent.
Le sujet fait irruption en 1989, avec l'affaire de Creil (Oise) où trois adolescentes sont exclues d'un collège pour port du voile.
Depuis, les polémiques reviennent régulièrement, avec des avatars variés - voile dans le sport, mères accompagnatrices de sorties, abayas...
Car l'école, qui est chargée d'enseigner les valeurs de la laïcité, "doit préserver les élèves de tout prosélytisme idéologique, économique et religieux", selon le site du ministère de l'Éducation nationale.
Les dernières lois
A l'école, la loi du 15 mars 2004, écrite "en application du principe de laïcité", interdit "le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse" (voiles, kippas, grosses croix...)
La loi du 24 août 2021 contre le "séparatisme" a aussi introduit plusieurs mesures pour renforcer la laïcité dans les services publics, accroître la transparence des cultes et leur financement, créer des référents laïcité dans les administrations... Cette loi a été critiquée par certains défenseurs des libertés publiques et associations.
Un concept très politique
Le concept est régulièrement brandi dans les rangs politiques, au risque selon certains d'une instrumentalisation. La vision "libérale" est accusée de céder au communautarisme, tandis que la vision "émancipatrice" est critiquée comme un faux-nez de l'islamophobie.
"Peu à peu la laïcité est devenue une valeur identitaire, qui qualifierait la démocratie à la française", estime Valentine Zuber, qui estime que "depuis 1989 et les premières affaires du foulard, on ne parle de laïcité qu'à propos de l'islam".
Selon un sondage Ifop de 2023, 78% des Français musulmans jugent l'application de la laïcité "discriminatoire envers les musulmans".
Le sujet pourrait animer la prochaine campagne présidentielle, comme en témoigne la récente proposition du chef des députés LR Laurent Wauquiez d'interdire le port du voile aux mineures dans l'espace public.