"Un nom apparait, le docteur Péchier": un enquêteur a décrit mardi devant la cour d'assises comment le nom de l'ancien anesthésiste de Besançon s'est révélé être la pièce manquante d'un "puzzle" permettant de comprendre trois empoisonnements présumés en 2009 à la Polyclinique de Franche-Comté.
Frédéric Péchier, 53 ans, est jugé depuis près de quatre semaines à Besançon pour l'empoisonnement de 30 patients âgés de 4 à 89 ans, dont 12 sont morts, dans deux cliniques privées de Besançon entre 2008 et 2017. Il a toujours clamé son innocence.
La cour d'assises du Doubs a commencé mardi l'examen des trois cas survenus à la Polyclinique de Franche-Comté (PFC), les seuls sur les 30 imputés au docteur Péchier survenus hors de la clinique Saint-Vincent.
Les 7 avril, 27 avril et 22 juin 2009, Bénédicte Boussard, 41 ans, Michel Voniez, 47 ans, et Nicole Deblock, 65 ans, font un arrêt cardiaque médicalement inexpliqué à la PFC, lors de leur anesthésie. Ils ont survécu tous les trois - le deuxième est décédé en 2023.
Le docteur Jacques Pignard, "le sachant" de l'établissement qui était l'anesthésie de Mme. Boussard et M. Voniez, a des doutes sur les circonstances de ces trois évènements indésirables graves (EIG), très proches. Ce sont les seuls arrêts cardiaques en cours d'anesthésie relevés dans l'établissement entre 2008 et 2016.
- "Auteur inconnu" -
Il fait analyser une poche de perfusion utilisée lors de l'anesthésie de Mme Deblock, dans laquelle ont été découvertes une dose de potassium 10 fois supérieure à la normale et de l'adrénaline en quantité importante.
La police judiciaire (PJ) est saisie de ces cas suspects par le parquet de Besançon, qui demande également de faire un rapprochement avec un cas similaire survenu à la clinique Saint-Vincent en 2008, qui avait entraîné le décès de Damien Iehlen.
Les enquêteurs recoupent les noms de 50 personnels de la Polyclinique et de 82 personnels de la clinique Saint-Vincent : "un nom apparait à l’époque, le docteur Péchier", a indiqué l'ancien responsable de la PJ, Bénilde Moreau.
Cet anesthésiste réputé de Besançon avait en effet quitté la clinique Saint-Vincent pour rejoindre la Polyclinique, où il travaillera du 1er janvier au 22 juin 2009.
En 2009, les enquêteurs pensent qu'une poche de perfusion ne peut être polluée avec du potassium qu'en court d'intervention. Le docteur Péchier n'étant pas présent au moment de deux des trois arrêts cardiaques, ils n'établissent pas de lien entre lui et les faits.
La police classe l'enquête en 2012, concluant "qu’aucun élément ne peut démontrer un acte de malveillance et qu’aucun EIG n’est survenu depuis".
L'avocate générale Thérèse Brunisso, remarque que le parquet a classé l'enquête pour "auteur inconnu". "Le parquet reste convaincu qu’il y a bien un acte de malveillance, malgré ces conclusions".
- "Meilleur alibi du monde" -
Mais en janvier 2017, la PJ de Besançon est saisie d'une autre affaire d'arrêt cardiaque suspect, dans l'autre établissement privée de la ville, la clinique Saint-Vincent.
Une dose de potassium anormalement élevée est là aussi retrouvée dans une poche de perfusion utilisée lors de l'anesthésie d'une patiente de 36 ans, Sandra Simard, qui survivra.
Frédéric Péchier, alors de retour à la clinique Saint-Vincent, interviendra pour sa réanimation.
Les investigations de 2017 permettent notamment de comprendre qu'une poche de perfusion peut être polluée en amont d'une anesthésie, elle "nous éclaire et nous montrent qu’il y avait des éléments permettant de mettre en cause le docteur Péchier, comme un puzzle", raconte Benilde Moreau.
Une autre enquêteur de la PJ entendu par la cour, Patrick Le Barre, estime que l'anesthésiste a pu polluer les poches en amont des anesthésies pour qu'elles soient utilisées en son absence et se forger ainsi "le meilleur alibi du monde".
A la Polyclinique de Franche-Comté, en 2009, "l'ambiance est tendue" entre Frédéric Péchier et les autres anesthésistes pour des "problèmes d'égo et d'argent", souligne le policier qui soupçonne le praticien d'avoir pollué des poches de perfusion en amont des opérations pour nuire aux collègues avec lesquels il était en conflit.
Jugé depuis le 8 septembre, Frédéric Péchier comparait libre, mais il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Le verdict est attendu le 19 décembre.
Par Angela SCHNAEBELE / Besançon (France) (AFP) / © 2025 AFP