Il y a quarante ans, Bernard Hinault remportait son cinquième et dernier Tour de France. Le dernier, aussi, d'un Français. Depuis, les occasions ratées se sont succédé, de Jean-François Bernard à Thibaut Pinot en passant par Laurent Fignon et Romain Bardet.
Interrogé par l'AFP, à l'approche de cet anniversaire, Hinault se montrait fataliste. "C'est dommage, on n'a peut-être pas le champion comme ont eu certaines nations, qui sont hors normes", a commenté le Blaireau. Aujourd'hui encore, poursuivait-il, "on a des bons coureurs, mais il leur manque (quelque chose). Je dis souvent, ce sont des 750 cc et les autres des 1000 cc. Quand tu fais un peu de moto, tu sais qu'elle va aller moins vite".
Avant le grand départ de Lille, samedi, retour sur cette quête éperdue d'un successeur français.
. 1987: au Ventoux, "Bernard à la Hinault"

Jean-Francois Bernard en plein effort le 19 juillet 1987 lors de la 18e étape du Tour de France, un contre-la-montre entre Carpentras et le Mont Ventoux. Le Français s'impose avec plus de deux minutes d'avance sur Stephen Roche et se pare de jaune. Mais il finira à la troisième place à Paris
PASCAL PAVANI - AFP/Archives
Un an plus tôt, la France du Tour a vu Hinault terminer sa carrière sur une 2e place derrière l'Américain Greg LeMond. Mais elle pense déjà tenir son successeur avec Jean-François Bernard, ex-équipier du Blaireau, qui l'a adoubé. Après l'accident de chasse de LeMond, le Nivernais, 25 ans, est même le nouveau leader de l'équipe La Vie Claire, devenue Toshiba. "Jeff" passe bien les cols et s'avère être un redoutable rouleur. Son avènement, pense-t-on, intervient le 19 juillet. En état de grâce, il écrase le contre-la-montre du Ventoux et enfile son premier maillot jaune. "Bernard à la Hinault", titre L'Equipe.
Mais le destin en décide autrement. Dès le lendemain, il crève au pire moment dans un col puis fait le frais d'une vendetta contre son équipe. L'Irlandais Stephen Roche triomphe. Bernard, 3e à Paris, verra le sort s'acharner. En 1988, leader du Giro, il chute et perd le fil de sa carrière. Il le retrouvera comme simple lieutenant de Miguel Indurain chez Banesto.
. 1989: Fignon, un cauchemar pour 8 secondes

Laurent Fignon effondré et exténué à l'arrivée de la 21e et dernière étape du Tour de France le 23 juillet 1989 à Paris. Il vient de perdre le Tour pour huit secondes, battu par Greg LeMond
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Avec 50 secondes d'avance sur LeMond, le Parisien, déjà double vainqueur (1983 et 84), a quasiment un troisième Tour en poche au matin de l'arrivée. Malheureusement, cette ultime étape est un contre-la-montre, et la suite est connue... L'Américain, casque sur la tête et guidon de triathlète, avale le bitume quand Fignon, catogan au vent et souffrant, sprinte en vain dans la dernière ligne droite. Battu pour huit secondes, le Parisien s'écroule sur les pavés des Champs-Elysées et ne s'en remettra jamais vraiment, même s'il remportera une belle étape pour son dernier Tour en 1992.
. 2017: Bardet, l'espoir renaît
Trois décennies ont passé et la France désespère... Bien sûr, il y a eu des exploits, comme ceux du très populaire Richard Virenque. En 1997, le leader de Festina a même terminé 2e, mais à neuf minutes de l'Allemand Jan Ullrich. S'est ensuivi la période sombre des scandales du dopage. Au mitan des années 2010, toutefois, le public tricolore reprend espoir. Après les 2e et 3e places de Jean-Christophe Péraud et Thibaut Pinot en 2014 - loin de l'Italien Vincenzo Nibali -, Romain Bardet illumine la fin de l'édition 2016 et gratte aussi une deuxième place, à quatre minutes de Chris Froome.

Romain Bardet (à droite) le 13 juillet 2017 dans les derniers mètres de la 12e étape du Tour de France à Peyragudes. Le leader d'AG2R s'impose et reprend ce jour-là 22 secondes à Christopher Froome. Il finira sur la 3e place du podium final
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Il intègre la liste des favoris de l'édition suivante, et les deux premières semaines confirment ce statut, le leader d'AG2R s'imposant dans les Pyrénées, à Peyragudes, où Froome coince. "Je vais tout faire pour gagner", clame le Français, alors que les quatre premiers se tiennent en 30 secondes. Galibier, Izoard... Moins bon rouleur que ses rivaux, Bardet attaque dans les cols alpins. Mais Chris Froome s'accroche, avant de sceller sa 4e victoire dans la Grande boucle lors du chrono de Marseille, où Bardet rétrograde 3e. L'Auvergnat l'assure pourtant: "Dans les prochaines années, plusieurs Français joueront la gagne".
. 2019: Pinot, coeur brisé

Le 26 juillet 2019, Thibaut Pinot (à gauche), réconforté par son équipier William Bonnet, pose pied à terre dans la 19e étape du Tour entre Saint-Jean-de-Maurienne et Tignes.
Le rêve est passé
Marco Bertorello - AFP/Archives
Deux ans plus tard, le soleil brille en effet pour les Bleus. Si Bardet est en retrait, Julian Alaphilippe et Thibault Pinot se disputent le haut de l'affiche lors d'une édition délestée de plusieurs favoris.
N.1 mondial, le premier n'est a priori pas un coureur de grand Tour. Mais il réalise deux premières semaines canon, avec deux victoires d'étape et un maillot jaune solidement accroché. Dans les Pyrénées, vient le tour de Pinot. Vainqueur au Tourmalet, le Franc-Comtois se retrouve en embuscade au moment d'aborder l'ultime étape alpine, le 26 juillet. Peu après le départ, une première mauvaise nouvelle est toutefois crachée par Radio Tour. Pinot, blessé, va abandonner. "Je sentais que j'étais capable de le faire", sanglote le leader de Groupama-FDJ, qui voit sa popularité exploser. Quant à Alaphilippe, le ciel lui tombe sur la tête. D'abord quand Egan Bernal, futur vainqueur, attaque dans l'Iseran. Puis quand un orage de grêle éclate dans la descente, alors que le futur double champion du monde (2020, 2021) espère revenir sur le Colombien. L'étape est neutralisée. Le rêve est passé.
Par Guillaume KLEIN / Paris (AFP) / © 2025 AFP