"La loi ne détournera plus les yeux": le délit "d'homicide routier" va pouvoir être mis en place après un ultime vote favorable du Sénat mardi, au grand soulagement des victimes qui en ont fait leur combat depuis plusieurs années.
Le processus parlementaire est achevé. Après un vote des sénateurs à main levée mardi, la réforme portée par le député Les Républicains Eric Pauget attend désormais sa promulgation par le président de la République, préalable à son entrée en vigueur.
Le débat sur le délit d'homicide et blessures routiers a été relancé après l'accident provoqué par Pierre Palmade en février 2023. Le comédien avait blessé grièvement trois personnes lors d'une violente collision en conduisant sous l'emprise de stupéfiants et a été condamné à cinq ans d'emprisonnement dont deux ferme en novembre 2024 pour blessures involontaires.
Depuis trois ans, c'est aussi le combat du chef étoilé Yannick Alléno et son association Antoine Alléno, du nom de son fils mort en mai 2022 après avoir été percuté par un conducteur multipliant les infractions graves, qui a été condamné à 7 ans d'emprisonnement pour homicide involontaire.
Or, l'utilisation de l'adjectif involontaire, terme juridique qui qualifie actuellement ces infractions, désempare les victimes et leurs familles, qui peinent souvent à l'accepter lorsqu'elles font face à des comportements délibérés comme la conduite sous l'emprise de stupéfiants ou sans permis.
- "Changement sémantique" -
"C'est l'aboutissement d'un travail acharné contre l'injustice", s'est réjoui Yannick Alléno dans un communiqué où il salue l'adoption de ce texte qui va "mettre un terme à l'archaïsme de notre droit pénal".
"Rien ne réparera l'irréparable. Mais la loi, désormais, ne détournera plus les yeux", s'est satisfait le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, appréciant une loi qui "affirme avec clarté que tuer sur la route, sous l'emprise de l'alcool, sous l'emprise de la drogue, en excès de vitesse ou dans le mépris délibéré des règles, ce n'est pas un simple accident, c'est un acte criminel".
Cette revendication était partagée jusqu'à la Ligue contre la violence routière, celle-ci arguant que ce "changement sémantique, souhaité par les victimes, intègre aussi des circonstances aggravantes plus nombreuses".
Avec ce délit, les responsables d'accidents mortels de la circulation accompagnés d'au moins une circonstance aggravante seront poursuivis pour homicide routier.

Le Sénat, le 2 avril 2024 à Paris
Bertrand GUAY - AFP/Archives
Les circonstances aggravantes sont la violation d'une mesure de sécurité, l'état d'ivresse, la consommation de stupéfiants et/ou des substances psychoactives, ne pas être titulaire du permis, un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 30 km/h, le délit de fuite, se servir de son téléphone portable à la main ou avec des écouteurs, le refus d'obtempérer, le rodéo urbain.
- Peines encourues inchangées -
Lorsqu'un conducteur se rendra coupable d'une de ces circonstances, il sera passible de 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende, une peine élevée à 10 ans d'emprisonnement et 150.000 euros au-delà de deux circonstances aggravantes.
Ce sont les mêmes peines que celles encourues actuellement avec l'homicide involontaire. Un point qui inquiète, alors que certains observateurs estiment que la moyenne des peines prononcées actuellement est de 2 ans d'emprisonnement.
"Je redoute l'idée que les magistrats ne dépassent pas leur analyse de l'accident de la circulation comme demeurant un accident. Ils auraient pu le faire si on avait changé le quantum des peines", souligne à l'AFP Me Vincent Julé-Parade, spécialisé dans la défense des victimes de la route.
Plusieurs sénateurs ont émis les mêmes doutes mardi lors de l'examen final du texte, craignant un texte uniquement "symbolique" mais consentant néanmoins à adopter la proposition de loi sans modification pour éviter de prolonger le processus législatif.
Le rapporteur Les Républicains Francis Szpiner a ainsi jugé le texte "imparfait", estimant qu'il faudrait prolonger le travail pour, à terme, "que les chauffards comprennent que leur comportement est criminel".
En 2024, 3.190 personnes sont décédées sur les routes de France métropolitaine et 233.000 ont été blessées, dont près de 16.000 gravement. Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), les deux tiers des accidents corporels présentent au moins un facteur aggravant et les trois quarts des responsables récidivent, presque aussi fréquemment et plus gravement qu'avant.
Par Sabine COLPART et Antoine MAIGNAN / Paris (AFP) / © 2025 AFP