Emmanuel Macron accueille mercredi à Paris le président syrien par intérim Ahmad al-Chareh pour une première visite controversée en Occident, et lui demandera, à cette occasion, de châtier les responsables d'"exactions" qui ternissent l'image de la coalition islamiste au pouvoir depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre.
Le président français est vivement critiqué par la droite et l'extrême droite françaises pour l'invitation faite à cet homme au passé jihadiste, qu'il reçoit dans l'après-midi à l'Elysée avant une rare conférence de presse conjointe.
"Stupeur et consternation", a réagi la leader du Rassemblement national Marine Le Pen, décrivant le président syrien comme "un jihadiste passé par Daech et Al-Qaïda". "Le tapis rouge de l'Élysée aura la couleur du sang des victimes du terrorisme islamiste", a renchéri son allié Eric Ciotti mercredi matin sur RTL.
"On ne reçoit pas des dirigeants qui sont d'anciens terroristes membres d'organisations qui veulent attaquer la France", a également affirmé sur Cnews et Europe 1 le chef des députés Les Républicains Laurent Wauquiez, dénonçant "une lourde erreur".
Membre du même parti, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand a au contraire estimé sur franceinfo que "ceux qui font des reproches à Emmanuel Macron n'ont rien compris à la fonction qui est celle de chef de l'État".
- "Pas de complaisance" -

Le président français Emmanuel Macron prononce un discours à Paris, le 5 mai 2025
Sarah Meyssonnier - POOL/AFP/Archives
Des massacres qui ont fait 1.700 morts, majoritairement alaouites, dans l'ouest du pays en mars, de récents combats avec des druzes, et des sévices documentés par des ONG ont soulevé des doutes sur la capacité des nouvelles autorités à contrôler certains combattants extrémistes qui leur sont affiliés.
Le Collectif franco-alaouite, qui accuse Ahmad al-Chareh "de génocide et de nettoyage ethnique", appelle à manifester à 14H00 place de la République à Paris.
Mais, en recevant le dirigeant syrien, Emmanuel Macron espère contribuer à accompagner dans la bonne voie la transition vers "une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne", a dit mardi l'Elysée à l'AFP.
La présidence française a balayé toute "naïveté", assurant connaître "le passé" de certains dirigeants syriens et exiger qu'il n'y ait "pas de complaisance" avec les "mouvements terroristes".
Le chef de l'Etat demandera donc à son invité "de faire en sorte que la lutte contre l'impunité soit une réalité" et que "les responsables d'exactions contre les civils" soient "jugés", a ajouté son entourage lors d'un échange avec la presse.

Une voiture détruite lors d'affrontements confessionnels à Ashrafiyat Sahnaya, près de Damas, le 1er mai 2025
OMAR HAJ KADOUR - AFP/Archives
"Notre demande, c'est celle d'une protection de tous les civils, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur religion", a-t-on insisté de même source.
L'Elysée a évoqué la "préoccupation particulièrement forte" de la France de "voir resurgir des confrontations interconfessionnelles extrêmement violentes" en Syrie, notamment avec les "massacres" sur la côte alaouite et les "violences à destination de la communauté druze dans le sud de Damas".
- Levée des sanctions -
"Ne pas engager le dialogue avec ces autorités de transition", "ce serait être irresponsable vis-à-vis des Français et surtout ce serait tapis rouge pour Daech", a aussi estimé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot sur RTL.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, arrive à un dîner de travail au palais de l'Elysée, à Paris, le 5 mai 2025
Ludovic MARIN - AFP/Archives
Selon lui, "la lutte contre le terrorisme, la maîtrise des flux migratoires, la maîtrise des trafics de drogue", ainsi que "l'avenir du Liban" voisin, "tout cela se joue en Syrie".
Depuis qu'elle a pris le pouvoir en décembre, la coalition islamiste dirigée par Ahmad al-Chareh tente de présenter un visage rassurant à la communauté internationale qui l'exhorte à respecter les libertés et protéger les minorités.
En jeu, la levée des sanctions imposées au pouvoir de Bachar al-Assad, qui pèsent lourdement sur l'économie du pays, exsangue après 14 années de guerre civile, avec, selon l'ONU, 90% des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté.
Le président al-Chareh, longtemps chef rebelle du groupe Hayat Tahrir al-Sham issu de l'ex-branche d'Al-Qaïda en Syrie, est lui-même toujours visé par une interdiction de voyager de l'ONU. Paris a dû demander une dérogation auprès des Nations unies pour permettre sa venue.
Mais si elle a soutenu la levée de certaines sanctions sectorielles de l'Union européenne, et juge que les mesures punitives américaines "pèsent sur la capacité des autorités de transition à se lancer dans une logique de reconstruction et à attirer des investissements étrangers", la France estime que le moment n'est pas encore venu de retirer le dirigeant syrien de la liste des sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU.
Par Francesco FONTEMAGGI / Paris (AFP) / © 2025 AFP