Les yeux cernés par des heures de combat contre le feu, le capitaine Julien Robinet se dit "heureux" d'exercer "le métier le plus aimé de France" et de sentir "chaque jour" la reconnaissance de la population des Corbières qui, comme à Talairan, accueille les soldats du feu qui ont sauvé leurs terres.
Les applaudissements, les dons en denrées alimentaires et les remerciements que le pompier venu d'Orléans reçoit sont "toujours une fierté pour nous", dit-il à l'AFP.
La nuit tombe vendredi soir sur Talairan, dans l'Aude, quand les grandes tablées installées dans la cour d'école du village continuent d'être approvisionnées en pain, bouteilles d'eau et plats froids.
"Venez vous doucher chez moi", "Faites comme chez vous", "Installez-vous", peut-on entendre sous le préau de l'école, lorsque les pompiers arrivent en nombre pour manger, dormir ou encore se laver.
Ils arrivent harassés après avoir lutté des heures durant contre l'incendie qui a parcouru 16.000 hectares dans l'Aude. Depuis que le feu a été fixé, jeudi soir, les pompiers s'évertuent à sécuriser les 90 kilomètres de lisières et à arroser les points chauds susceptibles de réactiver les flammes.
Charlotte Deveze, secrétaire du comité sports et loisirs de la commune, coordonne l'arrivée de la nourriture apportée par les habitants et restaurateurs locaux, pour remercier "les pompiers comme on peut."
"C'était un gros incendie. On les voit comme des héros. En fait, nous, c'est nos héros des Corbières", s'exclame la jeune femme.
- Venus des quatre coins de France -
"Les gars" sont venus de partout pour "sauver nos belles Corbières", ajoute-t-elle. "Il y en a qui sont à plus de 7-8 heures de route de chez eux. Et c'est notre seul moyen de les remercier", témoigne la secrétaire de mairie auprès de l'AFP.
La famille de Julien Robinet, elle, se trouve à neuf heures de route. Mais il lui parle souvent et il se dit "fier" que ses deux enfants voient "qu'on aide les autres, parfois au détriment de toute sa famille".

Les sapeurs-pompiers venus en renfort dans l'Aude lors d'un repas organisé en leur honneur à Talairan, dans l'Aude, le 8 août 2025
Bertrand GUAY - AFP
Quand le pompier en exercice depuis 1996 combat les flammes gigantesques dans l'Aude, son "esprit est occupé par le travail". Mais durant les temps de repos, il tient à rassurer sa famille, éloignée: "Ça peut toujours être un peu inquiétant de voir le feu à la télé, sans avoir de nouvelles".
Venu se restaurer, le commandant Loïc Gréboval, chef de centre à Fontenay-le-Comte (Vendée) parle lui d'une "expérience qui va tous nous marquer". "On est sur un mégafeu, c'est le feu le plus important de ces vingt dernières années. Certains dans la colonne de renfort n'étaient même pas nés", dit-il.
"C'est une expérience opérationnelle et puis c'est une expérience de tous vivre ensemble", confie-t-il à l'AFP. "Ça va créer des liens", estime-t-il, "entre sapeurs-pompiers, mais aussi avec les populations, c'était quand même très fort de vivre tous ces événements ensemble."
- "Notre thérapie" -
Sous les platanes de l'école de Talairan, Charlotte Deveze explique ce que signifie d'aider les pompiers pour les habitants qui sont restés "un peu cloîtrés" depuis l'incendie: "Psychologiquement, c'est un peu notre thérapie".
"On ne voit pas dans quel état est notre paysage", dit-elle, "on n'est pas prêts, je pense". "Parce que quand il va falloir sortir, ça va, à mon avis, nous faire bizarre à tous."
Son père, Raymond Deveze, membre actif de chaîne humaine mise en place dès le début de l'incendie, a créé lui aussi des liens avec les pompiers. "Ils nous ont sauvé beaucoup de choses", glisse le président du même comité sports et loisirs.

Les sapeurs-pompiers venus en renfort dans l'Aude lors d'un repas organisé en leur honneur à Talairan, dans l'Aude, le 8 août 2025
Bertrand GUAY - AFP
Alors il s'énerve quand il voit que les soldats du feu "ont dû bosser comme des fous" par "manque de moyens". "Dans une garrigue comme on a, dans les Hautes-Corbières, (...) le feu mange tout", ajoute-t-il, "il faut plus de Canadairs !".
S'il n'est "pas du coin", Julien Robinet sait lui aussi que la vitesse de propagation des flammes qu'il a affrontées s'explique par la sécheresse de la végétation.
"Il faudra se préoccuper de cette eau" qui manque cruellement dans ce département, plaide le capitaine. "Il va falloir se poser la question: comment on trouve d'autres ressources en eau ?"
Par Sarah KHORCHI / Talairan (France) (AFP) / © 2025 AFP