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Jean-Louis Etienne : la Cop 21, "un signe d'harmonisation important"

Par La Rédaction

Pour l'explorateur Jean-Louis Etienne, l'accord de Paris sur le climat est "un signe positif" dont "l'Humanité a besoin".

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Christine Bouillot : Pour vous, j'imagine que l'événement de l'année, ça a été cet accord de Paris. Comment l'avez-vous reçu ?Jean-Louis Etienne : J'étais bien sûr en direct à regarder les résultats. Quand Laurent Fabius a frappé un coup en disant "Accord accepté", j'ai levé les bras au ciel. C'était très important qu'il y ait un signe positif de la communauté internationale.Vous dîtes un signe positif, on a l'impression qu'il y a quand même des réserves.Oui, bien sûr qu'il y a des réserves. Mais vous vous rendez compte, c'est un accord planétaire, un accord universel. 195 Etats, plus l'Europe. Il était important de donner un signal d'accord international.Déjà, cette photo des 195 chefs d'Etat plus l'Europe, ça voulait dire qu'ils étaient là pour le climat, qu'ils reconnaissaient que l'homme est un acteur du changement climatique. C'est une photo qui était importante. Et ce résultat, bien sûr il n'y a pas tout, mais on est en train de trouver une règle du jeu entre deux titans. Le premier, c'est la machine climatique, c'est énorme. En face, c'est la marche de l'humanité.Donc arriver à trouver un consensus, un dénominateur commun, c'est déjà bien parce que ce ne sont pas les diplomates qui étaient dans le bocal de négociations qui ont les mains sur les manettes. C'est vous, c'est nous, ce sont tous ceux qui nous écoutent qui, dans leur vie quotidienne, sont des acteurs à la fois du changement climatique et des solutions. C'est tout ce monde-là qui avait besoin d'une réponse positive.

"Il y avait urgence"

En même temps, on a comme le sentiment, malgré tout, que sur ces débats sur le climat, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut faire quelque chose, mais quand chacun est positionné devant sa propre réalité, il a du mal à se mettre en marche par rapport à cette question du réchauffement climatique et de la préservation du climat.Vous avez raison. On est en train de parler du changement du climat. C'est quelque chose qui est complexe. Il faut bien voir que le dérèglement climatique est lié aux émissions de gaz carbonique, essentiellement de la consommation du charbon.Nous, en France, le charbon, c'est de l'histoire ancienne, mais le monde tourne au charbon. La Chine, l'Inde, même l'Allemagne ou la Pologne. Le charbon, c'est le pire ennemi du climat. Deuxièmement, le pétrole et le gaz. Toute notre civilisation est structurée sur la consommation de ces trois énergies fossiles. Il va falloir petit à petit passer à autre chose.Mais il est évident que quand on passe la porte de chez soi, on prend un bus, la voiture ou une mobylette. On consomme forcément. Il faut bien se rendre compte que ça a une grosse inertie et qu'on va petit à petit vers du changement.Il faut se mettre en route parce que les changements du climat ne se verront que dans 40 ou 50 ans, si on s'y prend tout de suite. Cette fièvre chronique, il faut l'attaquer dès aujourd'hui. C'est pour ça qu'il y avait urgence.Quand on fait le tour des marchés, quand on discute avec son voisin, il a du mal à s'imaginer que lui, à sa petite échelle, ces petits gestes, vont faire les grandes rivières. C'est toute la difficulté. Il y a deux difficultés. D'abord, le changement climatique est une mesure scientifique. 0,8° de réchauffement en un siècle. Ça ne se perçoit pas. On en voit aujourd'hui les complications.J'appelle ça une fièvre chronique et on commence à se réveiller aux premières complications, ces inondations, ces sécheresses, les cyclones, les tornades. Tout ceci sont les premières complications de cette fièvre chronique.

"On a besoin de grands signes d'encouragement"

Il y a donc eu accord, vous étiez là, vous l'avez vu. Qu'avez-vous ressenti ? Vous vous dîtes que tout n'est pas définitivement perdu ?L'Humanité a besoin de signes positifs, de signes d'unité. En 1992, il y a une photo de tous ces chefs d'Etat qui reconnaissent que l'homme impacte énormément la planète.Une autre photo dont je me souviens, c'était Reagan avec Gorbatchev. Ils décident, par diplomates interposés, de réduire leur arsenal nucléaire. Ils se réunissent une première fois et ne réussissent pas à se mettre d'accord. Le monde tremble. La 2e réunion qu'ils font en Islande, ils se mettent d'accord, ils se serrent la main et décident de réduire de moitié leur arsenal nucléaire, le monde souffle.Vous voyez, on a besoin de grands signes d'encouragement. Ça a été vécu partout. On avait des retours du monde entier sur les écrans, on a vu que c'était une fête planétaire.Dans ces moments difficiles que connaît l'humanité aujourd'hui, ce signe-là était important, qu'il y ait une harmonisation qui se crée enfin.On peut dire qu'on est fiers d'être Français ? Vous êtes fier d'être Français quand on voit le travail qui a été mené ?Oui, vraiment, parce que la diplomatie française a été excellente. Ça a été salué par tout le monde, à commencer par John Kerry qui était là. Al Gore était là aussi et les Américains ont reconnu que ça avait été bien mené.Ça a été pris en considération il y a plus d'un an, dès le début, quand la France a hérité de ce défi. J'ai interrogé Laurent Fabius là-dessus, pourquoi la France en a hérité, à un moment où ce n'était pas évident. Il m'a répondu : "Parce que personne n'en voulait. Et tous les diplomates qui étaient là à ce moment m'ont dit 'Good Luck'".C'était quelque chose de compliqué et Laurent Fabius et toute sa diplomatie a réussi à imprégner petit à petit, à convaincre et à ne jamais froisser. On l'a vu après l'accord. Les diplomates de chaque pays ont eu l'occasion de s'exprimer devant la communauté mondiale. Ce qui était important, c'est que chaque diplomate revienne chez lui la tête haute. Tout le monde a été satisfait.Le chemin est encore long, mais ce sont les bases qui ont été posées.Oui, le chemin ne fait que débuter.

"Le Front national ne montre que la partie toxique de l'Humanité"

Justement, sur le chemin de cette année 2015, est-ce que, pour vous, ça restera l'image de l'année ? Comment avez-vous vécu cette année quand vous regardez dans le rétroviseur ?Il est évident que c'est une année meurtrière, terrible. Ici, sur le continent, en France, Daesh qui est en train de nous inquiéter sérieusement. On voit bien qu'il y a une crainte et c'est planétaire aujourd'hui. Ce n'est plus une guerre traditionnelle de deux pays qui s'affrontent sur une frontière, où les parties sont bien identifiées.Là, c'est une imprégnation toxique. Il y a une crainte dans le monde. Je trouve que cet accord venait comme un souffle comme quoi les hommes sont capables, à un moment donné, de s'harmoniser sur une problématique planétaire.Sincèrement, je l'ai vécu comme un soulagement. Je me suis dit "Enfin, l'Humanité est capable de trouver des solutions".Est-ce que c'est pour toutes ces raisons-là que vous avez publiquement pris position dans l'entre-deux tours des régionales ?J'ai pris position, comme beaucoup de personnes d'ailleurs, parce que la solution qui est proposée par le Front national, c'est un recroquevillement sur le pays. Je voyage beaucoup, je rencontre beaucoup de personnes, on a besoin de l'Humanité, on a besoin de se rencontrer. Il y a des solutions partout.Effectivement, le Front national ne montre que la partie toxique de l'Humanité. Ce n'est pas en flattant ces craintes qu'on arrivera à trouver des solutions.J'ai donc prix position, comme plein de personnes. Il est important de s'ouvrir sur le monde, c'est fondamental. Et on ne parle régulièrement que des "méchants", mais heureusement, l'Humanité est constituée essentiellement de gens de bonne volonté, de gens honnêtes. C'est la grande majorité et c'est ça qu'il faut mettre en évidence. Ce n'est pas le repli sur soi qui va permettre de trouver des solutions.On le voit dans des villes où il y a des prises de position comme ça du Front national. Il y a des décisions qui sont prises qui, malheureusement, nous front retoucher l'histoire ancienne que la France a connu dans les années 1940.

"On a vraiment besoin de remettre du liant"

Ce genre de prises de position de personnalités est risqué. Vous ne vous êtes pas posé ce genre de questions, vous vous êtes dit "Je dois le faire" ?Ça m'a paru naturel. Mes grands-parents étaient Italiens. Ils sont venus travailler en France, donc ils me racontent de temps en temps combien c'était difficile au début. On les regardait, on les pointait du doigt, mais après, ce sont des gens qui se sont intégrés et qui apportent de la richesse.Si vous regardez aux Etats-Unis, c'est un pays jeune qui a ouvert les frontières et accueilli énormément de nationalités du monde entier. On voit l'émergence de gens très influents. Le fondateur d'Apple, par exemple, est un fils d'immigré. Il y a de la richesse partout.Nous ne pouvons pas nous satisfaire de notre cocon français, sinon, on va faire de l'entre-nous et on s'isole complètement. Ce n'est pas ça qui fait la solution.Quand vous voyez la Cop 21, le sursaut républicain, quand vous regardez dans le rétroviseur avec ces manifestations, ces Français qui se disent résistants en allant boire un café en terrasse, vous vous dîtes que l'union fait la force ?Oui, l'union fait la force et les gens parlent. On a vraiment besoin de remettre du liant. C'est vrai que chacun a tendance à se claquer derrière sa porte pour se dire "Mon Dieu qu'est-ce qui va se passer dans la rue".On n'a pas oublié, mais fort heureusement, la vie quotidienne reprend ses droits. On a besoin de soulagement, de ces signes positifs. C'est vrai qu'on a toujours tendance à penser que le méchant est en train de prendre la possession de la planète, mais pas du tout. Ce n'est qu'une toute petite partie de la population, malheureusement, elle est extrêmement efficace.Toutes les mesures qui sont prises aujourd'hui, dans tous les pays du monde, vont dans ce sens, et c'est bien. Mais j'ai traversé l'Antarctique en 1989-1990. On était 6. Il y avait un Chinois de Chine populaire, un Russe qui était encore communiste, un Américain, un Japonais, un Anglais et moi. On a passé sept mois, des fois sous des tentes bloquées par le mauvais temps. La conclusion, en arrivant au bout, c'est qu'on a réussi cette traversée, 6700 km, 7 mois d'expédition. Je disais qu'on a réussi parce qu'on ne parlait pas la même langue. Il y a une tolérance, une écoute, une compréhension, un mouvement vers l'autre quand on ne comprend pas tout ce qu'il veut dire et qu'on est dans le même bateau. C'est ça qu'il faut voir.Si on s'impose, chacun d'entre nous, juste de sourire à la personne qui vous croise, ça change complètement. J'ai habité en Californie, où la relation inter-humaine est très ouverte. On cause facilement, les gens vous sourient. Quand vous repartez de là, vous avez été nourri par du bien-être. C'est ça dont on a besoin.

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