Non-lieu pour la veuve de l'ancien président rwandais hutu assassiné: pour deux juges d'instruction parisiennes, il n'existe pas de charge suffisante afin de poursuivre Agathe Habyarimana pour entente en vue de la commission du génocide des Tutsi en 1994.
La perspective d'un procès pour l'ancienne Première dame rwandaise, âgée de 82 ans, s'éloigne ainsi fortement, alors que cette affaire donne lieu à un bras de fer entre les juges d'instruction et le parquet national antiterroriste (Pnat).
Sans surprise, dans la foulée, le Pnat a indiqué à l'AFP qu'il entendait faire appel de cette décision.
Mme Habyarimana est placée depuis 2016 sous le statut de témoin assisté.
Selon l'ordonnance de non-lieu datée de mercredi que l'AFP a pu consulter, les juges estiment qu'il "n'existe pas de charges suffisantes contre Agathe Kanziga (Habyarimana) qu'elle ait pu être complice d'acte de génocide" ou pu "participer à une entente en vue de commettre le génocide".
"A ce jour, Agathe Kanziga apparaît non comme auteure de génocide, mais bien comme une victime de (l')attentat terroriste" dans lequel ont été tués son mari, son frère et des proches, ajoutent-elles.

Le président Juvénal Habyarimana le 7 octobre 1982 à Kigali
PIERRE GUILLAUD - AFP/Archives
La veuve de Juvénal Habyarimana, le président hutu dont l'assassinat le 6 avril 1994 avait déclenché les massacres contre la minorité tutsi, est visée depuis 2008 par une enquête en France pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité, ouverte après une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). Ce dernier assure jeudi qu'il "ne manquera sans doute pas de faire appel de cette ordonnance de non-lieu".
- "Akazu" -
Les investigations avaient été clôturées en 2022, mais le Pnat, qui comprend un pôle crimes contre l'humanité, avait demandé en août de la même année de nouvelles investigations, demandes qu'il a renouvelées en septembre 2024 en saisissant la chambre de l'instruction et en demandant la mise en examen de Mme Habyarimana pour entente en vue de la commission du génocide des Tutsi en 1994.
Mi-mai 2025, les juges d'instruction avaient déjà rendu une ordonnance expliquant les raisons pour lesquelles cette mise en examen n'était pas justifiée.
Le Pnat avait alors formulé un recours, qui n'a pas encore été examiné. Le non-lieu a été ordonné alors que ce recours est toujours "pendant (à l'examen) devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris", ce que le Pnat a mis en avant pour justifier jeudi son intention de faire appel.

Une victime du génocide rwandais le 12 mai 1994 près de Kigali
GERARD JULIEN - AFP/Archives
Selon les associations parties civiles, Mme Habyarimana était l'une des dirigeantes de l'"akazu" - le premier cercle du pouvoir hutu qui aurait orchestré le génocide -, ce qu'elle réfute.
D'avril à juillet 1994, le génocide au Rwanda a fait selon l'ONU 800.000 morts, membres de la minorité tutsi ou Hutu modérés, tués par les Forces armées rwandaises et les milices extrémistes hutu Interahamwe.
- "Honneur" -
Interrogé par l'AFP, l'avocat de Mme Habyarimana, Philippe Meilhac, a estimé que cette ordonnance constituait "une immense satisfaction", car "fruit d'un travail de plus de 18 ans".

Agathe Habyarimana, veuve de l'ancien président rwandais hutu assassiné, arrive au palais de justice de Paris, le 3 novembre 2020
Thomas SAMSON - AFP/Archives
Cette ordonnance, "très détaillée", "restitue son honneur à Mme Habyarimana, qui est totalement étrangère aux graves événements que son pays a connus et avant toute chose une victime de l'attentat commis contre son mari", a-t-il affirmé.
Il a néanmoins dit craindre que "l'acharnement dont (le Pnat) a fait preuve depuis plusieurs mois ne se poursuive", via l'appel.
Me Patrick Baudouin, avocat de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), partie civile, a jugé de son côté "éminemment regrettable et incompréhensible" l'ordonnance de non-lieu, songeant à faire appel.
Me Emmanuel Daoud, également avocat de la FIDH, estime que "l'implication" de Mme Habyarimana "dans la préparation du plan génocidaire" ainsi que "ses prises de parole après le meurtre de son mari auraient "dû conduire les juges d'instruction à la renvoyer devant la cour d'assises".
Mme Habyarimana a été exfiltrée en Europe avec sa famille le 9 avril 1994, à la demande du président François Mitterrand, proche de son mari.
La France a refusé de l'extrader au Rwanda, sans toutefois lui accorder l'asile.
Installée en France depuis 1998, elle y vit ainsi sans statut légal, ce qui lui "cause toujours d'énormes tracas" selon son conseil, qui a espéré une régularisation de sa situation.
Par Céline CORNU, Philippe GRELARD / Paris (AFP) / © 2025 AFP