Au milieu des jardins ouvriers de Seine-Saint-Denis, survolés par les jets privés du Bourget, se dresse le bidonville de Stains, l'un des plus grands de France métropolitaine. Là, entre tôles et verdure, des familles en majorité roms vivent sous la menace d'un démantèlement.
Chasubles blanches sur les épaules, des soignants et travailleurs sociaux de Médecins du monde (MdM) entrent dans une petite allée de terre. Des enfants jouent, des coqs chantent. A droite, une cour avec des baraques précaires: une jeune mère file voir la pédiatre, une autre s'inquiète d'une rumeur d'expulsion imminente.
Les lieux pourraient presque "paraître bucoliques quand il fait beau", mais "ce sont des lieux de survie", témoigne Clément Etienne, coordinateur du programme Bidonvilles de l'ONG, lors d'une visite début septembre.
Un site où résident plus de 1.000 personnes, où les "toilettes de campagne" favorisent la propagation de maladies et où, en pleine canicule, "il fait pas loin de 50 degrés" dans les baraquements sommaires, énumère-t-il.

Une canalisation d'eau potable installée dans l'une des nombreuses ruelles du bidonville, le 26 septembre 2025, à Stains, en banlieue parisienne
Thibaud MORITZ - AFP
Devant sa caravane où tourne une machine à laver, Ioana s'inquiète de la perspective d'un démantèlement, devenu prioritaire pour l'Etat.
"Je ne sais pas où on va aller", dit la quinquagénaire, traduite par un interprète, comme les autres ressortissants roumains interrogés par l'AFP.
Cette brocanteuse, qui vit ici depuis cinq ans, assure avoir déposé une demande de logement et aimerait "pouvoir vivre dans une maison".
- "Stabilité" -
Dans ce bidonville, où il n'y a pas eu d'expulsion en plus de dix ans d'existence, les habitants "apprécient" cette "stabilité", atteste Clément Etienne.

Vasile, un habitant du bidonville, pose pour une photo le 26 septembre 2025, au milieu des cabanes de Stains, en banlieue parisienne
Thibaud MORITZ - AFP
Béret sur la tête, Vasile, 58 ans, craint de se retrouver à la rue avec sa famille, après huit ans passés dans ce lieu de vie informel.
Il se dit "très inquiet" d'une expulsion parce qu'il y a des enfants qui vont à l'école, assure-t-il. Or scolariser les enfants relève souvent du parcours du combattant pour les populations roms.
A côté, Jean, jardinier de 61 ans, peste notamment contre la présence de sanitaires de fortune, pointant "l'odeur" qui s'en dégage. Lui cultive sur sa parcelle, voisine de la baraque de Vasile, tomates, laitues et pastèques. Mais globalement la cohabitation se passe bien, "ils nous respectent."
"C'est un bidonville qui ne peut pas rester en l'état", déclare à l'AFP le préfet de Seine-Saint-Denis Julien Charles, avançant des "problèmes sanitaires", de "voisinage" ou encore "divers troubles à l'ordre public".
La préfecture va mandater une association pour établir un diagnostic auprès des familles habitant le bidonville. L'évacuation n'interviendra pas avant le printemps prochain, assure le préfet.
Voir ce bidonville disparaître, c'est également le souhait de MdM. Mais à condition que toutes ces familles obtiennent un logement pérenne.
- "Comme un oiseau" -
En attendant, "des rumeurs" d'expulsion circulent à Stains et plongent les gens dans la "peur", avertit Bogdan Pintea.

Cette photographie prise le 26 septembre 2025 montre de vieilles caravanes dans un bidonville de Stains, près de Paris
Thibaud MORITZ - AFP
Travailleur social à MdM, il accompagne ces populations, ressortissantes de l'Union européenne, dans leurs démarches administratives. Ce jour-là de septembre, il est venu avec une médecin généraliste, bénévole comme tous les soignants de l'ONG.
Gheorghe (prénom modifié) ouvre la porte de sa petite baraque empreinte d'odeur de tabac, jonchée de boîtes de médicaments. L'ancien pompier, trente ans de carrière en Roumanie, souffre de problèmes de santé. Cet été, il s'est fait expulser d'un autre bidonville du département, à La Courneuve.
"J’ai l’impression d’être un voyageur, comme un oiseau", déclare l'homme à l'allure svelte.
"Chaque expulsion entraîne une rupture dans le parcours de soins", déplore Clément Etienne. Les équipes de MdM vont essayer de prendre rendez-vous pour le sexagénaire qui bénéficie de l'aide médicale d'Etat.
Ionel, arrivé en France avec sa femme il y a quelques mois après 14 ans de prison en Roumanie, est venu rendre visite à des proches habitant le bidonville.
"Nous, les Roms, on est très discriminés", dénonce ce quinquagénaire qui aimerait s'établir en France, "trouver du travail, parce que c'est un pays qui respecte les gens".
Dans son rapport annuel 2024, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme écrivait pourtant: "Malgré une amélioration sensible cette année, les Roms sont la minorité la plus stigmatisée" en France.
Après plusieurs heures passées au sein du bidonville, médecins et travailleurs sociaux de MdM repartent.
Toutes sirènes hurlantes, quatre voitures déboulent.
"La police doit faire son travail", reconnaît M. Etienne. Mais cette concomitance risque, craint-il, d'amener "beaucoup de suspicions" à l'égard des équipes de l'ONG.
Par Antoine BOYER / Stains (France) (AFP) / © 2025 AFP