Il aura tout osé : faire parler des stars à minuit passé, poser des questions que personne n’osait formuler, passer du punk au politique en une phrase, écrire des répliques cultes comme d’autres signent des manifestes. Thierry Ardisson n’était pas seulement un animateur, il était un concept. Une silhouette noire, une voix grave, une manière bien à lui de tendre le micro : frontalement, avec un sourire de sniper. L’homme en noir s’est éteint, et avec lui, une certaine idée de la télé, celle où tout pouvait encore arriver.
Une plume avant le micro : les années pré-antennes
Né le 6 janvier 1949 à Bourganeuf, dans la Creuse, Thierry Ardisson débute sa carrière loin des plateaux de télévision. Dans les années 70, il fait ses armes dans la publicité, notamment chez BBDO, TBWA, Ted Bates, puis dans sa propre agence de communication : Business. C’est là qu’il affine son sens du slogan, du rythme et du mot qui claque. Une plume acérée qu’il mettra ensuite au service de la presse écrite, collaborant avec Façade ou Entrevue.
Mais l’homme ne rêve que d’une chose : entrer en télé. En 1985, France 2 lui tend le micro. L’émission s’appelle Scoop à la Une. Le ton est décalé, l’allure est sobre : Thierry Ardisson vient de créer un style. Deux ans plus tard, Lunettes noires pour nuits blanches impose définitivement sa griffe. Interviews nocturnes, montage rythmé, invités inattendus : la télévision s’ouvre à une nouvelle forme d’impertinence.
L'âge d'or de l’impertinence
Les années 90 et 2000 seront les plus flamboyantes de la carrière de Thierry Ardisson. C’est l’époque de Tout le monde en parle, diffusé sur France 2 entre 1998 et 2006. Un plateau noir, des invités qui se livrent sans filtre, des phrases choc et des happenings inoubliables : l’émission devient un rendez-vous incontournable du samedi soir. Avec son style faussement détaché, il invente une nouvelle grammaire du talk-show.
Ses interviews sont calibrées comme des uppercuts. À travers des formats originaux comme la bio interdite, le CV truqué ou la boîte à questions, Ardisson joue avec ses invités comme un chat avec une souris. Certains crient au génie, d’autres dénoncent une télé poubelle. Lui assume et provoque : « Je n’ai pas été très copié, sinon la télévision serait plus belle », disait-il chez nos confrères du Figaro.
De la télé à la production : l’homme-orchestre
Loin de se cantonner au rôle d’animateur, Ardisson est aussi un redoutable producteur. À la tête de sa société Ardimages, il développe des dizaines de formats pour la télévision, de Paris Dernière à Les Terriens du samedi !. Il produit également des documentaires et s’essaie au cinéma (Max, Ma fille et Les Rois de la piste), tout en restant fidèle à son credo : mélanger les genres et bousculer les codes. En 2019, il quitte Canal+ sur fond de désaccord avec la direction, dénonçant une perte de liberté éditoriale.
Une voix, un look, une époque
Toujours vêtu de noir, les lunettes en embuscade, Thierry Ardisson était identifiable entre mille. Voix grave, débit posé, humour cynique : il incarnait une télévision où l’irrévérence pouvait encore rimer avec élégance. Il adorait provoquer, mais n’était jamais vulgaire. Il assumait ses contradictions.
Thierry Ardisson laisse derrière lui une télévision à laquelle il aura donné du panache, de l'audace, et parfois même de la poésie. Il aura été de ceux qui ont compris que l'image et les mots, bien maniés, pouvaient faire plus de bruit qu’une polémique. Un artisan de la télévision au sens noble du terme, qui aura su imposer sa voix singulière dans un paysage souvent formaté.