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Violences sexuelles: la parole se libère autour d'une école catholique du Béarn

"On a ouvert la boîte de Pandore", dit un ancien élève. Depuis quelques semaines, les dénonciations de violences, d'agressions sexuelles et de viols remontant aux années 1970 à 1990 s'accumulent autour d'un établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques.

GAIZKA IROZ - AFP/Archives

"On a ouvert la boîte de Pandore", dit un ancien élève. Depuis quelques semaines, les dénonciations de violences, d'agressions sexuelles et de viols remontant aux années 1970 à 1990 s'accumulent autour d'un établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques.

Vingt premières plaintes ont conduit le parquet de Pau, début février, à ouvrir une enquête préliminaire. Treize se sont ajoutées rapidement et d'autres devraient suivre prochainement, "en nombre substantiel", assure Alain Esquerre, 52 ans, la main posée sur un épais dossier.

Depuis qu'il a créé un groupe sur Facebook pour collecter des témoignages, cet ex-pensionnaire de l'institution fondée en 1837 à Lestelle-Bétharram, près de Lourdes, croule sous les récits décrivant un "système de prédateurs".

Six prêtres et deux laïcs sont incriminés par d'anciens élèves pour des faits commis entre 1970 et 1990 à Notre-Dame-de-Bétharram, un établissement catholique sous contrat renommé aujourd'hui Ensemble du Beau Rameau.

La voix d'Alain Esquerre, élève dans les années 1980, tremble de colère. "Je n'accepterai jamais cette violence gratuite que l'on a subie, j'alerte depuis des années, on m'a volé des années d'enfance. Là, on découvre l'innommable, ça doit être un scandale national!".

Antoine (prénom modifié), 47 ans, avait porté plainte en 1999, classée sans suite. Il visait un surveillant général. "C'était ma parole contre la sienne, j'étais dégoûté qu'on ne me croie pas", raconte-t-il à l'AFP.

- "J'étais un bébé" -

Le quadragénaire en a déposé une nouvelle, le mois dernier, contre ce laïc toujours en poste - il a été écarté le 14 février par la direction au nom du "principe de précaution".

Antoine se rappellera toujours la "première fois", dans la douche du surveillant. "J'étais un bébé", souffle-t-il. Puis les agressions sexuelles en camp scout. "Je dormais dans sa tente, j'avais 14 ans, c'est quand même fou."

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques

GAIZKA IROZ - AFP/Archives

En fin de scolarité, l'adolescent va même vivre chez l'intéressé, près de l'établissement. "Il ne voulait m'avoir que pour lui, tout le monde savait que je dormais là-bas", ajoute l'ancien élève, évoquant des masturbations, "une fois par semaine pendant quatre ans", et "au moins" une fellation imposée.

Quand il a découvert le groupe de plaignants, il en a "chialé": "Même 26 ans après, je suis prêt à partir en guerre, j'attends que l'on me croie, je veux qu'il soit jugé." L'allongement du délai pour porter plainte - 30 ans après la majorité pour un mineur - et son âge font que la sienne n'est pas concernée par la prescription.

Brice, 48 ans, a porté plainte pour des viols et violences entre 1984 et 1991. Il met en cause un autre ancien surveillant laïc, visé par 29 plaintes selon Alain Esquerre.

Il dénonce aussi un ex-directeur de l'institution, mis en examen pour viol sur mineur en 1998 et qui s'est suicidé en 2000 à Rome. "Quand je l'ai su, je ne me suis dit que les autres ne pouvaient pas passer à travers", se remémore Brice, dont la plainte n'est pas non plus exposée à la prescription.

Autre ancien de Bétharram, Christophe Marejano, 54 ans, dénonce un "système de prédateurs étalé sur 35 ans".

- "Silence comme méthode" -

Scolarisé de 1980 à 1987 dans l'internat reconverti depuis en gîte pour pèlerins, il se souvient du "silence comme méthode". "On devait se taire tout le temps, dans les dortoirs, en étude, dans les douches (...) Les victimes vivaient ce calvaire seules".

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques

Vue d'un établissement catholique à Lestelle-Betharram, le 6 mars 2024 dans les Pyrénées-Atlantiques

GAIZKA IROZ - AFP/Archives

Pour lui, les violences physiques ont commencé "dès le premier soir, à 10 ans". Il a subi le châtiment dit "du perron", qui consistait à mettre les élèves "dehors, en caleçon, parfois en pleine nuit en hiver": "On pouvait attendre des heures de recevoir notre correction."

La Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus de Bétharram, implantée dans 15 pays, se dit "consciente de la souffrance des victimes de ces actes abominables", par la voix du père Jean-Marie Ruspil, son vicaire régional, et s'engage à fournir un accompagnement aux victimes "dans ce douloureux et âpre processus de reconstruction".

La congrégation, qui a géré l'établissement béarnais jusqu'en 2009, exerce aujourd'hui une co-tutelle, avec celle des Filles de la Croix, sur l'ensemble scolaire qui accueille 520 élèves de la maternelle au baccalauréat.

Contacté par l'AFP, le directeur, Romain Clercq, a exprimé sa "compassion" et son "soutien" aux victimes d'actes qu'il "condamne fermement".

Après le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase), qui a estimé à 216.000 le nombre de victimes entre 1950 et 2020, des témoignages d'anciens élèves de Bétharram ont été transmis à la cellule d'accueil du diocèse de Tarbes ou à la Commission reconnaissance et réparation (CRR), indique le vicaire régional, sans en préciser le nombre.

Les recommandations "ont toutes été suivies, avec le déclenchement du processus d'indemnisation", assure-t-il.

Par Carole SUHAS / Lestelle-Bétharram (France) (AFP) / © 2024 AFP

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