C'est une base aérienne centenaire, dans les vertes collines de Haute-Saône. A l'est de l'Hexagone, Luxeuil accueillera dans moins de 10 ans une cinquantaine de Rafale et l'arme nucléaire, après une colossale rénovation à 1,5 milliard d'euros.
Sur place le 18 mars, Emmanuel Macron a annoncé que la base aérienne 116 serait à l'horizon 2035 la première à recevoir la nouvelle version du Rafale et son missile hypersonique, l'ASN4G (missile air sol nucléaire de 4e génération).
Une nouvelle mission à l'heure où le président de la République a annoncé début mars un "débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen".
La base, une "petite ville" de 2.700 habitants avec sa vingtaine de Mirage-2000, va donc doubler de taille avant de pouvoir recevoir une cinquantaine de Rafale, après un arrêt de l'activité aérienne entre 2029 et 2032, explique le colonel Emmanuel Roux, qui commande le site.
Les vieux hangars au toit triangulaire, qui datent de 1952, ont été "bien rentabilisés", observe le colonel, lors d'une visite de presse. "J'ai vu des images d'une visite du général de Gaulle en 1962: c'était pareil", s'amuse-t-il.

Des ingénieurs travaillent sur un avion Mirage 2000-5F de l'escadron de chasse "Cigognes" 1/2 (EC) dans un hangar de la base 116 de l'armée de l'air française à Luxeuil-les-Bains, le 27 mai 2025 en Haute-Saône
Jean-Christophe VERHAEGEN - AFP
Les hangars céderont la place à des installations plus vastes. "Le Rafale est plus grand, il ne rentre pas en hauteur" dans les installations actuelles, explique le colonel Roux, derrière une fine barbe grisonnante. "Il faut tout revoir pour les infrastructures".
Autre changement impératif: la piste, où deux Mirage peuvent actuellement décoller de front à 300 kmh. Le nouvel avion de combat étant plus lourd, il va falloir la refaire pour qu'elle puisse supporter durablement ses atterrissages.
Un recensement de la faune et de la flore va être engagé pendant un an, selon le colonel Roux, alors que les écologistes de Haute-Saône réclament une étude des sols avant le début des travaux.
- "Bâtisseur de cathédrale" -
Les armements nucléaires doivent faire l'objet d'un stockage et d'une protection spécifiques.
"Toutes les bases aériennes de l'armée de l'air et de l'espace sont déjà particulièrement protégées", souligne le commandant de la base.

Le colonel Roux, commandant de la base aérienne 116 de l'armée de l'air française à Luxeuil-les-Bains, le 27 mai 2025 en Haute-Saône
Jean-Christophe VERHAEGEN - AFP
"Mais évidemment, les bases à vocation nucléaire sont encore plus renforcées que les autres: il va falloir réaugmenter les dispositifs de sécurité et l'ensemble de l'infrastructure pour se mettre au point".
Le colonel Roux se voit en "bâtisseur de cathédrale" - il est chargé du lancement d'un projet qui sera poursuivi par d'autres. "On n'a pas le droit d'échouer ni de prendre du retard".
Le défi est triple: technologique, infrastructurel et humain.
"On a 10 ans pour construire la première base de France avec des avions qui n'existent pas, une arme nucléaire qui n'existe pas, et des mécaniciens qui sont encore au lycée".

Un ingénieur inspecte un avion Mirage 2000-5F de l'escadron de chasse "Cigognes" 1/2 (EC) à la base 116 de l'armée de l'air française à Luxeuil-les-Bains, le 27 mai 2025 en Haute-Saône
Jean-Christophe VERHAEGEN - AFP
Une base aérienne accueille une cinquantaine de métiers différents, civils et militaires. Outre pilotes et mécaniciens, elle rassemble contrôleurs du ciel, pompiers, commandos qui surveillent les lieux, spécialistes des radars, sans oublier les services d'hébergement et de restauration.
L'arrivée du Rafale va quadrupler le nombre de pilotes: l'appareil est biplace alors que le Mirage de Luxeuil est monoplace.
- "Dernier recours" -
La base dispose aussi d'une école, l'Unité d'instruction spécialisée (UIS), où sont formés pilotes et mécaniciens, français et étrangers. Ils se forment sur une maquette transparente du Mirage 2000 et passent progressivement au maniement du Rafale.

Des mécaniciens travaillent sur un avion Mirage 2000-5F de l'escadron de chasse "Cigognes" 1/2 (EC) dans un hangar de la base 116 de l'armée de l'air française à Luxeuil-les-Bains, le 27 mai 2025 en Haute-Saône
Jean-Christophe VERHAEGEN - AFP
Les mécaniciens, au nombre de 300 actuellement, seront près d'un millier lorsque la base sera totalement opérationnelle, après la fin des travaux en 2036 ou 2037, selon le colonel Roux, lui même ancien officier mécanicien.
"C'est la logistique qui gagne la guerre", relève-t-il, expliquant que la vitesse à laquelle un avion est préparé permet d'accélérer ses rotations. A titre d'exemple, il suffit d'une heure pour changer le moteur d'un Rafale et d'un quart d'heure pour remplacer un siège éjectable.
Du côté des pilotes, on se dit "prêt" à transporter l'arme atomique.
"C'est une responsabilité vraiment lourde que l'emploi de l'arme nucléaire", reconnait Julien, un pilote de 35 ans qui n'a pas le droit de révéler son nom de famille.
"C'est l'arme du dernier recours, mais je pense qu'on est tous prêts, pour protéger ceux qu'on aime et notre nation, à utiliser cette arme".
Par Patrick BAERT / Luxeuil-les-Bains (France) (AFP) / © 2025 AFP