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Elisabeth Levy: "Les gilets jaunes, ces écolo-pragmatiques"

Editorial

Vous le saviez et moi aussi, mais ce n’était peut-être pas le cas des lecteurs du Monde, ni d’une partie de nos élites. Qui peuvent donc se rassurer. Les Gilets jaunes ne veulent pas détruire la planète. Ils sont même, apprend-on dans notre estimable quotidien, « écolos à leur manière ». Il faudra le dire à Benjamin Griveaux qui ne cachait pas sa réprobation de la France qui fume des clopes et roule au diésel.

On se rappelle que c’est la taxe diesel qui a transformé la colère latente de la France oubliée en révolte des ronds points. Le débat public ayant malheureusement tendance à préférer les situations carrées et les clivages binaires à la complexité des choses, nous avons adopté comme une vérité la séduisante opposition entre fin du monde et fin du mois. Il y avait d’un côté la France éduquée et consciente de ses responsabilités envers la planète – celle qui roule en 4X4 mais seulement le week-end – et de l’autre la France des sans-grades plus soucieuse de son pouvoir d’achat que du climat.

Eh bien on dirait qu’on s’est trompé. D’après les premiers résultats d’une enquête réalisée par le Centre Emile Durkheim (Sciences Po Bordeaux /CNRS) auprès de 1300 Gilets jaunes, seule une très petite minorité estime que l’écologie n’est pas une priorité. L’étude révèle aussi l’émergence d’une « écologie populaire » qui passe notamment par de nouveaux modes de consommation. En somme, tous ne pétitionnent pas et ne prennent pas des poses dramatiques pour parler du réchauffement climatique, mais ils font ce qu’ils peuvent. Et peut-être sont-ils plus sensibles que les écolos officiels à la défiguration de nos paysages.

À entendre les prophètes de l’apocalypse climatique, pour éviter la catastrophe imminente, il faudrait en accepter une autre : mettre brutalement fin à l’économie carbonée reviendrait à nous plonger dans le chaos économique et social. Ainsi faudrait-il licencier sur le champ une bonne partie des 13 millions de salariés de l’industrie automobile en Europe. .

Nombre des Gilets jaunes interrogés sont donc écolos-pragmatiques. La plupart, comme beaucoup de Français, refusent ce tout ou rien qui nous somme de choisir entre deux désastres. Ils veulent bien faire un effort, mais ils ne peuvent pas aller bosser en voilier. Ils peuvent se passer de fraises en décembre, pas de leur voiture. Décréter que le réchauffement climatique doit être l’unique critère de l’action publique, l’horizon exclusif de la pensée, c’est avoir un esprit religieux. La politique à l’inverse, doit arbitrer entre plusieurs contraintes. Elle doit permettre à nos sociétés de se réorienter vers une économie moins destructrice de l’environnement, sans pour autant se fracasser dans l’opération. Ses soucier des générations futures ne signifie pas qu’il faille sacrifier les générations présentes. Une transition demande du temps, des arbitrages, de la discussion, pas des slogans et des anathèmes. Apparemment une majorité de gilets jaunes peut intégrer plusieurs paramètres. Ce doit être ce qu’on appelle la sagesse populaire.

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