Il est à peine 9h et déjà une vingtaine de dos courbés s'alignent entre les fraisiers d'une ferme alsacienne, où trois hectares sont consacrés à la libre-cueillette. Un moyen de se passer de main-d'œuvre pour les producteurs et de faire des économies pour les consommateurs.
"Ça fait 40 ans que je suis dans la région, ça fait 40 ans que j'en fais": Nathalie Jubault, 61 ans, est une "libre-cueilleuse" aguerrie.
Venue en tenue de sport à la ferme Krieger, à Haguenau, au nord de Strasbourg, elle profite de son jour de repos pour cueillir 3 kilos de fraises et prévoit d'y retourner la semaine prochaine.
"C’est beaucoup plus agréable! Dans les barquettes au supermarché, il y a souvent du moisi. Et ça fait travailler les producteurs de chez nous!", s'exclame cette gérante de supermarché, qui confie ne jamais y acheter ses fruits et légumes parce qu'ils "viennent d'Espagne ou du Maroc".
Jeunes, vieux, enfants: munis de leurs seaux en plastique, les clients n'ont qu'à tendre le bras vers le fruit qu'ils préfèrent.
Un circuit (très) court, particulièrement apprécié en Alsace, région en pointe sur le consommer local.
- Moitié prix -

Des personnes cueillent des fraises dans une ferme alsacienne où deux hectares sont consacrés à la libre-cueillette, le 30 mai 2025 à La Wantzenau, dans le Bas-Rhin
FREDERICK FLORIN - AFP
Ici, le kilo de fraises coûte 4,30 euros, soit moitié moins que dans le commerce, un argument mis en avant par chaque cueilleur.
"Le prix est correct pour nous, pour eux et pour tout le monde", résume Virginie Krieger, propriétaire de cette ferme qui propose aussi des légumes de saison à la vente.
La libre-cueillette est même l'une de ses activités les plus rentables. Elle représente 25% du chiffre d'affaires de son exploitation qu'elle a rachetée il y a 20 ans à une famille allemande, la première à avoir proposé dans les années 1960 de la libre-cueillette en France.
"L'avantage, c'est qu'on a besoin de moins de personnel. Aujourd'hui, nous sommes une dizaine de cueilleurs, mais si on voulait cueillir ce que les clients ne cueillent pas, on devrait être 20 à 30 personnes", explique Mme Krieger, qui rappelle à quel point il est difficile de recruter de la main-d'œuvre agricole.
"Tu es là de 5h30 à 13h, dans une posture assez difficile, il n'y a plus beaucoup de gens qui veulent le faire", déplore la maraîchère de 47 ans.
Elle peut encore compter sur de la main-d'œuvre étrangère, venue des pays de l'Est notamment.
A quelques kilomètres de là, dans la petite ville cossue de la Wantzenau, Anne Clauss emploie une dizaine de saisonniers, tous venus de Roumanie.
- 12 kilos en 30 minutes -
Elle explique avoir lancé la libre-cueillette il y a 10 ans sur l'exploitation familiale afin de diversifier sa clientèle.

Une femme montre les fraises qu'elle a cueillies dans une ferme alsacienne où deux hectares sont consacrés à la libre-cueillette, le 30 mai 2025 à La Wantzenau, dans le Bas-Rhin
FREDERICK FLORIN - AFP
Voyant que "ça marchait bien", sa parcelle s'est agrandie et compte désormais deux hectares de libre-cueillette et une dizaine de variétés de fraises.
Son dernier record: une tonne cueillie par 600 clients en une journée, la semaine dernière.
"C'est génial ici", témoigne Andreea Cristinar, 47 ans, qui avec son mari et leur fils, chapeaux sur la tête, a cueilli 12 kilos en à peine 30 minutes, pour en faire des confitures.
Les avantages pour le producteur et le client sont tellement nombreux selon Thierry Peterschmitt, président de l'association des producteurs de fraises d'Alsace, que "la quasi totalité" des exploitations de fraises de la région, soit entre 40 et 50, propose de la libre-cueillette.
"Un tiers du volume total (2.000 tonnes, ndlr) est vendu en libre-cueillette en Alsace", ajoute M. Peterschmitt.
La production biologique en revanche peine à s'imposer et reste "marginale", selon Pierre Barth, président de l'Interprofession Fruits & Légumes d'Alsace.
Le bio n'est "pas au programme" pour Virginie Krieger, qui a observé 30 à 40% de pertes l'année passée à cause des intempéries.
"C'était compliqué", confirme Anne Clauss après avoir déjà essayé le bio, car "il n'y a aucun produit pour contrôler les maladies".
Pas de quoi inquiéter les clients, comme Sophie Weissenburger, venue avec son fils de 2 ans: "J'espère pouvoir leur faire confiance... Mais c'est du local, c'est toujours mieux que les fraises d'Espagne!"
Par Camille KAUFFMANN / Haguenau (AFP) / © 2025 AFP