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Yannick Bru : "il faut qu'on soit plus limpide offensivement"

Par Mathilde Régis

L'entraîneur des avants du XV de France, Yannick Bru, était l'invité du Grand Entretien de Judith Soula, sur Sur Radio Sports. Il dresse son bilan des bleus après les trois matchs du tournoi des 6 nations.

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Judith Soula : Pour le moment deux victoires et une défaite des bleus dans ce tournoi des 6 nations. Sur le dernier match, le XV est passé au révélateur gallois, quel enseignement avez-vous tiré de cette défaite ?Yannick Bru : L'état d'esprit et l'altruisme qu'il y a dans cette équipe vont permettre d'envisager de bonnes choses pour l'avenir. Le groupe de joueurs est solidaire, croit au projet et a envie de montrer qu'il est digne d'être soutenu. C'est déjà une très bonne chose dans le sillage d'un capitaine magnifique sur le match de Cardiff. Ce match montre aussi qu'il y a beaucoup de lacunes, notamment sur le plan offensif avec une première mi-temps dont on ne peut se satisfaire… Beaucoup de ballons ont été perdus trop facilement et beaucoup d'opportunités de garder l'initiative du jeu ont été gâchées. Tout ça a fait qu'on était toujours sous la pression et l'étreinte de cette équipe galloise, qui en impose déjà beaucoup physiquement. Elle n'avait pas besoin qu'on lui rende autant de munitions pour rentrer dans la partie. Un de nos chantier va être de comprendre pourquoi durant cette première demi-heure on a été aussi faible dans la réalisation de gestes simples et aussi pauvre dans le respect de certaines consignes offensives. Si on met plus de précision offensive avec l'entrain et l'état d'esprit qui préside, je pense qu'on va être capable de faire de bonnes choses.Tu évoques le capitaine, Guilhem Girardot, qui a pris une sacrée épaisseur en trois matchs. Tu t'attendais à le voir aussi rapidement dans cette peau de leader ?Je savais qu'il avait cette dimension là, il a connu un peu toutes les postures en équipe de France. Il a été troisième talonneur, il est reparti puis revenu sur un statut de remplaçant. Il a vécu toutes ces périodes, ce qu'on appelle tout simplement l'expérience. Aujourd'hui, il a une légitimité sportive qui faisait de lui un candidat idéal au poste de capitaine. Il a aussi un bon sens et une humilité qui colle bien avec les valeurs qu'on veut inculquer à ce groupe. J'ai toujours pensé qu'il serait une bonne option et qu'il serait un bon capitaine, c'est ce que j'avais conseillé à Guy Novès. Je pense qu'aujourd'hui il ne doit pas être déçu de l'avoir choisi parce qu'il montre qu'il est au cœur du projet. C'est aussi un exemple formidable pour la jeune génération.

"Les gallois ne défendent pas, ils agressent l'attaque adverse"

Avant ce match contre le pays de Galles, Guy Novès souhaitait que l'équipe soit capable de s'adapter. Comment expliquer les difficultés des trente première minutes ?Un des piliers de notre projet est d'avoir une équipe qui joue chaque ballon pour marquer, qui cherche à s'adapter, à lire intelligemment les situations avant de réciter un projet de jeu établi. Sur ce plan là, on n'est pas satisfait. À plusieurs reprises dans le match, des options avaient été pré-annoncées mais le déroulé de l'action demandait une autre réponse. J'ai pleins d'images en tête sur cette partie. C'est un aspect du travail qu'il nous reste à faire.C'est le manque d'expérience tout simplement ?Quand on est devant la télé, on a du mal à percevoir la dimension émotionnelle qui se joue a Cardiff. C'est toujours une enceinte particulière. Cette équipe galloise a un système défensif très particulier avec 4-5 joueurs qui montent en sprint et qui viennent agresser tout le temps. Ils ne défendent pas, ils agressent l'attaque adverse. C'est vrai que cette pression physique et émotionnelle du lieu ont fait que de mauvaises décisions ont été prises. Tout ça s'appelle l'expérience, et certains de nos joueurs ont encore besoin de vivre des scénarios comme ça pour être meilleur.En l'absence de Louis Picamoles, on manque clairement de franchisseurs, est ce un point qui t'inquiète ?Oui je ne vais pas dire le contraire. Toutes les grandes nations ont, en tout cas sur le poste de troisième ligne, de gros franchisseurs et de gros porteurs de balles. C'est pratique quand on peut s'économiser deux temps de jeu uniquement parce qu'on a un bulldozer pour créer des différences dans le système défensif adverse, vous le voyez avec l'Angleterre, et notamment les actions de Vunipola qui sont assez significatives. Louis a un profil qu'on a du mal à remplacer, même si honnêtement, Damien Chouly vient de faire deux très grandes performances avec ses qualités qui sont différentes. On réfléchit beaucoup à l'équilibre de notre troisième ligne. Antoine Burban pourra à l'avenir endosser ce rôle de franchisseur. Aujourd'hui, par son manque de jeu avec le stade français et son retour de blessure récent, on voit qu'il a fait de bonnes choses mais qu'il n'a pas pu amener la présence offensive qu'on aurait souhaité. Effectivement, c'est un de nos chantiers : trouver un équilibre en terme de puissance au niveau de notre troisième ligne. C'est vrai qu'on a pas beaucoup de candidats dans le champs des possibles chez les joueurs français, mais on va trouver des solutions.Tu es satisfait des débuts en bleu des jeunes comme Jefferson Poirot ou Paul Jedrasiak ?Je suis très satisfait, je n'avais pas beaucoup de doutes car ce sont des joueurs qu'on suit depuis un petit moment déjà. Les deux répondent à nos attentes. S'ils gardent ce niveau là, ils vont s'inscrire durablement dans le paysage international. Maintenant, si vous prenez Paul, un coup d'épaule à retardement qui coûte trois points… Ça a l'air de rien mais ces trois points vont aux gallois et il a fait une première mi-temps un peu inutile. Jeff a une activité magnifique par moment, mais il perd aussi deux ballons importants dont un qui amène l'essai. Même pour eux, dans une partition globale qui est de qualité, il y aussi beaucoup de choses à rectifier. Dans quelques matchs, ils ne reproduiront pas ces erreurs là.

"Notre frustration vient de l'inefficacité offensive"

En revanche, il y a toujours cette même inefficacité offensive, comment trouver l'équilibre entre la défense et l'attaque ?Aujourd'hui, notre point de frustration vient de là. Je pense que Jeff Dubois, Guy et moi, on attendait mieux sur ce qu'on appelle communément l'animation offensive. Sur notre circulation sur les largeurs du terrain, nos réponses à des scénarios qu'on s'était créés. Là dessus on a été un peu déçu : on a du mal à reprendre les largeurs et à exploiter à bon escient le jeu au pied. Ces différentes raisons s'expliquent toutes : quand on s'entraîne deux fois dans la semaine c'est plus facile de mettre en place une conquête constructive, solide et une très bonne défense que de bâtir des complicités offensives qui demandent souvent d'apporter des réponses communes en une fraction de seconde. C'est le plus grand chantier, c'est celui qui demande du temps. On sait tous que l'équipe de France, c'est toujours pendant les 6 Nations, une gestion de l'urgence. Mais on va y arriver, et sur ces deux prochains week-end , on a un gros challenge sur cet aspect du jeu.Les gallois ont été fidèles à leur jeu, mais n'ont pas été transcendants sur ce match, il peut y avoir aussi un peu de frustration par rapport à la prestation du pays de Galles ?Les gallois ne sont jamais transcendant dans le jeu. Ils ont un jeu qui est simple, basé sur la domination athlétique des adversaires : ils sur-utilisent leurs avants, ils cognent fort et multiplient les temps de jeu jusqu'à ce que des failles se présentent dans la défense adverse. La grosse surprise, c'est que souvent les gallois font de grosses différences dans les vingt dernières minutes du match. Là, notre équipe était plutôt dominante sur cette deuxième partie. Pour avoir discuté avec l'encadrement gallois, les joueurs ont beaucoup souffert physiquement du défi qu'on leur a imposé. Le pays de Galles est quand même une des équipes les plus difficiles à jouer au niveau mondial avec une défense agressive et sur laquelle on a eu du mal à trouver des réponses. On a pas démarré sur le plus facile, je dirai que les gallois ont été fidèles à eux mêmes avec du jeu au pied de pression de qualité, une défense ultra agressive et un opportunisme basé sur la vitesse de leurs trois quarts. Ils ont été fidèle à leur image, c'est nous qui avons été un peu en dedans par rapport à la lecture des situations et à nos qualités offensives.Après ces trois matchs de tournoi, quel premier bilan veux-tu dresser ?Ce groupe mérite d'être soutenu, l'état d'esprit est très bon. Il est travailleur, enthousiaste et regarde devant. Avec beaucoup de jeunesse, il y a beaucoup d'énergie, mais ce groupe est aussi encadré par des trentenaires de grande qualité qui sont riches du passé récent. Je trouve qu'on a un équilibre intéressant. On a une base de travail super pour l'avenir, on a vu que notre défense commençait à devenir fiable. Je pense que sur les phases statiques, on sera difficile à manœuvrer aussi puisqu'on a de jeunes joueurs de talent et d'autres expérimentés qui connaissent l'exigence du niveau international. Maintenant, on a l'ambition de jouer bien au rugby, de bien réussir les choses simples comme la lecture des situations offensives et pour l'instant on est pas dans les clous, on est pas réellement satisfaits. On doit réussir ce paramètre : je pense qu'on a une bonne conquête et une bonne défense. Ça pourra varier d'un match à l'autre, mais je crois qu'on pourra s'appuyer sur ça de manière régulière, mais il faut qu'on soit plus limpides offensivement.

"Face aux critiques, j'ai un blindage inoxydable"

Après le premier match face à l'Italie, tu avais demandé à la presse et de ne pas être trop exigeante avec ces jeunes joueurs, c'est compliqué de gérer les critiques ?Très honnêtement, vu par où je suis passé, j'ai un blindage inoxydable. C'est vrai que la plus jeune génération est très en prise avec l'actualité immédiate, les réseaux sociaux, etc. Les mentalités ont changé par rapport à ça, et quoi qu'en disent les joueurs, ils sont très perméables à tout ça. Très rapidement, ça peut générer un stress et une inhibition qu'on a pas envie de voir chez nous. Guy a été clair la-dessus, on manœuvre avec un groupe assez restreint, la confiance est là, les choses sont transparentes à l'intérieur. Il y a une exigence et une volonté d’œuvrer dans la continuité donc j'espère que ces jeunes joueurs vont apprendre de ces expériences là mais ne vont pas être pollué par la pression médiatique extérieure qui va inévitablement arriver. Tu as décidé de poursuivre l'aventure comme entraîneur, tu as hésité à un moment à repartir en équipe de France après l'échec de la coupe du monde ?Les deux semaines après l'élimination face à la Nouvelle Zélande ont été vraiment mouvementées. Dans ces moments de stress, on ne prend pas les bonnes décisions et on n'a pas les bonnes réflexions, il fallait couper. C'est vrai que j'en avais gros sur la patate comme on dit. Mais le fait de repartir sur un nouveau projet avec des gens que je connais bien et qui me font confiance, et vu aussi la confiance de la direction de la fédération française de rugby, je ne pouvais pas abandonner ou rester sur le bord de la route. Ce traumatisme de la coupe du monde m'a rendu encore un peu plus fort, j'espère que ça permettra au groupe et aux avants en particulier d'être performant à l'avenir.Tu as le sentiment de repartir à zéro ?Non, loin de là. Guy a eu l'humilité et l'intelligence de faire un bon audit, de s'appuyer sur ce qui avait fonctionné. J'ai beaucoup échangé avec lui et c'est vrai qu'il s'est beaucoup appuyé sur ma vision du passé. Ne croyez pas que tous ce que Philippe Saint-André avait mis en place était à jeter à la poubelle. Je pense qu'on a construit des fondations intéressantes au niveau du groupe France. Beaucoup de joueurs étaient là avant et sont là aujourd'hui, ça veut aussi dire qu'avec une nouvelle atmosphère, un nouveau discours et une nouvelle autorité, les joueurs et l'encadrement sont capables de montrer un visage meilleur. Je crois que Guy, sans faire du cirage de pompe, a une expérience, une autorité naturelle et un charisme qui permet aux gens de se bonifier autour de lui. C'est probablement pour ça qu'il a été choisi.

"Je ne m'assoirai plus sur certains principes"

Hier, Philippe Saint-André était notre invité sur Sud radio Sports, il nous disait que repartir avec toi faisait aussi gagner du temps, est ce que tu as changé ta façon d'appréhender ton poste ?Un peu évidemment, je pense qu'avec Philippe à un moment, on est parfois tombé avec cette nouvelle génération, mais dans une volonté de bien faire. Quand vous prenez une nouvelle génération qui n'a aucune sélection internationale et qui manque un peu de caractère et que vous voulez les associer au projet, on met en place un système très participatif. Mais on s'aperçoit que le trop participatif ça peut aussi conduire à la cacophonie et à un manque d'autorité. Il y a des choses sur lesquelles je ne transigerai plus. Cette fois comme on dit, je compte mourir avec mes idées, ma façon de faire, c'est quelque chose qui est très clair entre Guy et moi. C'est vrai que je ne m’assoirai plus sur certains principes. À l'avenir, je compte bien faire à ma façon avec mon vécu, ma connaissance des caractères et de cette exigence qu'il faut pour le niveau international. Je suis peut être un peu moins malléable que par le passé.Cette volonté de mettre les joueurs dans leur bulle, c'est toi qui a influencé Guy Novès dans cette démarche ?Non pas du tout. Je crois que Guy avait perçu que l'équipe de France était devenue très pénétrable. C'est vrai qu'il y avait un besoin de récréer une autorité, pas de créer un pénitencier ou de crier en permanence, mais de réellement faire sentir aux joueurs que quand on joue pour l'équipe nationale, ce n'est pas un match supplémentaire dans une saison. Même si on sait que dans leurs clubs il y a de gros enjeux sportifs, de très belles conditions de travail et un stress permanent. Aujourd'hui, l'équipe nationale demande de l'extraordinaire. Chaque fois que les joueurs vont venir là, il faut qu'ils aient les moyens de très bien se préparer, de se concentrer sur la performance qu'ils ont a livrer. Nos adversaires donnent la priorité à leur équipe nationale. Nous français, on doit recréer un environnement qu'on peut appeler une autorité, mais moi je dirai un environnement de concentration qui fait que les joueurs doivent prendre conscience qu'il y a des sacrifices particuliers à réaliser. J'aime bien l'expression de Guy qui dit qu'on est surtout là pour donner du plaisir à l'ensemble des supporters du rugby français.Le tournoi fait une pause avant de reprendre ses droits le 13 mars prochain avec un déplacement en Écosse, les joueurs sont repartis dans leurs clubs respectifs, que fait le staff tricolore cette semaine ?Il va se réunir trois jours à Marcoussis pour bien préparer les deux dernières rencontres qui sont cruciales. Le calendrier est quand même un casse-tête, nos joueurs ont beaucoup donné pour le Top 14 et la coupe d'Europe, c'est une période où il y a beaucoup de blessures. On est vraiment obligé de gérer la fraîcheur physique et mentale des joueurs pendant ces semaines. C'est donc un peu un casse tête d'agencer nos chantiers sur le jeu. Pour travailler l'attaque, rien de mieux que de travailler avec des scénarios d'opposition, mais cela est un peu contre indiqué par notre staff médical.

"On ira en Ecosse pour gagner, évidemment"

Vous donnerez la liste demain du nouveau groupe pour l’Écosse ?Je pense qu'elle sera donné jeudi matin, on se laisse un peu de temps.Vous avez des nouvelles de Damien Chouly ?J’attends des examens complémentaires, mais à priori le staff médical de l'ASM s'est montré rassurant, Damien a subit des soins sous leur grande compétence. On peut penser aujourd'hui qu'il sera disponible mais on attend de voir l'évolution sur les 48 heures, d'où l'annonce jeudi matin.Vous allez rester sur votre principe : sauf blessé, ce groupe ne sera pas modifié ?La volonté est de travailler dans la continuité. Là, on a rendu trois copies, il y a vraiment des lieux communs entre le match de l'Irlande et le match des gallois. Il y a des choses et de la matière à travailler.Lors de la dernière journée de doublon, les trois clubs les plus pourvoyeurs d'internationaux : le Racing, Toulouse et le Stade Français ont perdu, vous avez peur que cela durcisse la relation avec les clubs ?Je connais trop cette dualité, je ne vais pas m'aventurer sur ce chemin là. J'avais été très content pour le stade français qu'ils triomphent face à Brive parce que deux de leurs joueurs avaient réalisés des gestes forts pour le XV de France. Globalement, la plupart des staffs du Top 14 font des efforts pour que l'équipe de France puisse se préparer au mieux. Mais eux aussi sont soumis à une grosse pression, eux aussi ont des comptes à rendre à leur direction. C'est vrai que quand on voit les résultats du week end dernier, je souffre un peu avec les clubs qui fournissent des internationaux, parce que même si les équipes sur le papier restent très compétitives et que tout ne s'explique pas là, parfois ça fait souffrir des clubs et ça nous attriste vraiment. On a à la fois besoin d'avoir des clubs et une équipe de France très forte. Face à la préparation des autres nations, on a pas une marge de manœuvre très importante.Le prochain adversaire c'est l’Écosse qui s'est imposée 36 à 20 face à l'Italie, que redoutez vous de ces écossais ?Je redoute tout car c'est toujours l'adversaire que l'on doit battre selon la grande opinion publique. Tous les spécialistes du rugby savent que cette équipe est devenue très compétitive, avec aussi le bénéfice d'un apport de joueurs néo-zélandais. L'équipe est très bien densifiée et ils auraient pu être en finale de la dernière coupe du monde, il faut s'en souvenir. Je crois qu'ils sont complets dans toutes leurs lignes et qu'ils ont solutionné la problématique de leur mêlée : on a vu la domination qu'ils ont exercé sur l'Italie. Ce sera très difficile, mais j'ai confiance en notre groupe, on a une volonté de s'améliorer et on ira en Écosse pour gagner, évidemment.

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