Dénonçant une dérive favorisant la "mise en danger de la vie d’autrui", 175 médecins ont récemment envoyé un courrier au Premier ministre Édouard Philippe pour l’interpeller sur les conditions de travail dans l’hôpital public. Le Dr Bruno Caron, l’un des initiateurs de cette lettre, dresse au micro de Sud Radio un constat accablant des conséquences de ces conditions toujours plus difficiles. "Étant donné que nous sommes insuffisamment nombreux et que les conditions ne sont plus réunies pour faire de la médecine de qualité et conforme aux données actuelles de la science, il y a des gens qui attendent sur des brancards trop longtemps, qu’on néglige, etc. En tant que psychiatre, je dois hospitaliser des gens et on nous demande de faire de la prévention du suicide, mais il y a tellement peu de lits dans les hôpitaux qu’il y a par exemple 34 patients en attente pour l’hôpital de Saint-Égrève ! Donc les gens sont dehors et le risque suicidaire augmente. Voilà…", clame-t-il.
Pour ce psychiatre et patricien à l’hôpital de Saint-Égrève (Isère), les causes de cette situation sont multiples. "Ce n’est pas qu’une histoire de personnels, c’est une histoire de gouvernance. Avec une administration absolument toute-puissante, des directeurs formés à l’école de Rennes, qui ne sont donc pas des médecins mais des techniciens et des administrateurs. On en a besoin, bien sûr, et on veut construire avec eux, mais quand on leur dit que ce service ou ce bloc opératoire ne fonctionne pas, on nous répond "Non, c’est comme ça que ça va se passer". Et ils ont tout pouvoir depuis la loi HPSP de 2007… Il y a donc la réduction des moyens, la gouvernance qui est terrible, et la médecine à l’acte qui a des effets absolument pervers sur les hôpitaux, puisqu’il faut trier les patients entre ceux qui rapportent et ceux qui ne rapportent pas…", critique-t-il avant de déplorer le "mépris" du gouvernement à l’égard des médecins.
"On est tout le temps en sous-effectif, on doit tout le temps se réorganiser !"
"Nous sommes plus de 1300 à avoir signé une lettre à Mme Buzyn, on attend toujours qu’elle nous reçoive pour qu’on discute. Elle ne nous a même pas accusé réception de cette lettre de septembre 2017, d’où celle-ci adressée au Premier ministre. En réalité, des commissions ont été créées, on nous dit que ça va changer mais on nous dit en même temps qu’il va falloir économiser plus d’un milliard d’euros cette année dans les hôpitaux ! C’est donc contradictoire : on nous demande de faire plus, de faire mieux. On annonce ça à nos concitoyens, mais rien ne change ! Les groupements hospitaliers de territoires vont faire des méga-structures hospitalières alourdies par la bureaucratie avec des coûts financiers géants, rien ne va changer", avertit-il.
Alors que la France a près de 2000 milliards d’euros de dette, le Dr Caron l'assure : l’hôpital fait d’ores et déjà plus que sa part d’efforts en termes de réorganisation. "La réorganisation, on en fait tout le temps ! Nous sommes tout le temps en sous-effectif, on doit tout le temps se réorganiser ! Les infirmières tournent de plus en plus, vont d’un service à un autre, etc. !", affirme-t-il.
Les médecins signataires de cette lettre demandent désormais à être reçus par Édouard Philippe pour discuter de la situation.