Au XXIe siècle, jamais les médias n'ont été aussi diversifiés. Pourtant, cette liberté et cette pluralité sont le fruit d’un long combat mené durant des décennies. En France, la libéralisation des ondes dans les années 1980 a mis fin à des décennies de monopole d’État sur la parole radiophonique. Ce moment historique a entraîné l'explosion des radios libres.

Quand l’État lâche prise sur le monopole de la parole
Pendant des décennies, les ondes hertziennes ont été sous monopole d’État. En France, seule la radiodiffusion publique était autorisée, contrôlée par des entités comme l’ORTF (Office de Radiodiffusion-Télévision Française), dissoute en 1975. Ses missions étaient : la tutelle de la radiodiffusion et de la télévision publiques, la gestion des émetteurs et de la production audiovisuelle nationale et régionale. Les tentatives d’émettre sans autorisation de cette entité étaient strictement interdites et passibles de poursuites judiciaires. Cette mainmise, renforcée après la Seconde Guerre mondiale, avait pour but de contrôler l’information.
À la fin des années 1970, un vent de changement souffle sur l’Europe. L’Italie ouvre la voie en juillet 1976, grâce à une décision historique de sa Cour constitutionnelle. Saisie par une affaire opposant la RAI (Radiotelevisione Italiana, l'audiovisuel public) à une station locale, la Cour juge que le monopole d'État sur la radiodiffusion est anticonstitutionnel, du moins pour les radios locales émettant en modulation de fréquence (FM) et ne couvrant pas l’ensemble du territoire national. Cette faille juridique provoque un raz-de-marée radiophonique : en quelques mois, des centaines de radios locales privées, communautaires ou militantes surgissent dans tout le pays, profitant du vide réglementaire.
Le phénomène prend tellement d'ampleur qu’on parle d’explosion des radios libres italiennes : en 1977, on recense plus de 400 stations privées en activité dans la botte, hors du contrôle de la RAI. Cet exemple italien a été suivi de près par d’autres pays européens, dont la France, où la pression des collectifs militants et des mouvements associatifs s’amplifie dans les années qui suivent. C’est le début de la libéralisation des ondes, un processus qui consiste à mettre fin au monopole de l’État sur la radiodiffusion et à autoriser des acteurs privés, associatifs ou communautaires à émettre sur la bande FM, sous réserve d’un cadre légal.
Le tournant a lieu en 1981 dans l'Hexagone, avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. L’un des premiers gestes du nouveau pouvoir socialiste est de tolérer les radios non autorisées, auparavant qualifiées de « pirates ». Une année plus tard, en 1982, la loi sur la communication audiovisuelle reconnaît juridiquement le droit d'exister pour les radios privées.
Les dates clés de la libéralisation des ondes :
- 1975 : suppression de l’ORTF (qui conduit à l'éclatement des services publics de radio et TV en plusieurs entités).
- 1977–1981 : multiplication des radios pirates, contestataires ou communautaires.
- 1981 : le gouvernement Mitterrand choisit de ne plus réprimer les initiatives radiophoniques.
- 1982 : promulgation de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle – fin du monopole d’État, naissance d’une régulation pluraliste.
- 1986 : création de la CNCL (Commission nationale de la communication et des libertés), ancêtre du CSA (aujourd’hui devenu l’ARCOM).
Les radios libres : des micros pour tous et des paroles qui s’émancipent
Les radios libres sont nées dans le sillage de cette libéralisation. Elles désignent les stations de radio qui ont émergé spontanément, souvent sans autorisation, dans les années 1970 et 1980, portées par une volonté de contre-information, d’expression locale ou militante. Sud Radio, pionnière en la matière, émettait de manière "pirate" depuis Andorre dès la Seconde Guerre mondiale.
Ces antennes revendiquaient une liberté de ton, une rupture avec les discours institutionnels et une proximité avec les auditeurs. Elles abordaient des sujets peu présents sur les ondes nationales : luttes sociales, cultures minoritaires, musiques marginales, actualités locales ou revendications politiques. Parmi les premières radios libres, on peut citer :
- Radio Andorra (ancêtre de Sud Radio), née le 3 avril 1940, et seule station privée à émettre durant la Seconde Guerre mondiale.
- Radio Verte Fessenheim (1977), née pour lutter contre la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim.
- Radio Lorraine Cœur d’Acier (1979), créée par la CGT à Longwy pour lutter contre les fermetures d'usines de sidérurgie.
- Radio Ici et Maintenant (1980), spécialisée dans les débats interactifs en direct et l'intervention des auditeurs.
- Radio Nova (créée en 1981 par Jean-François Bizot), pionnière dans la musique alternative.
Ces radios ont profondément modifié le rapport des Français à l'information. Elles ont aussi contribué à l’émergence du pluralisme médiatique que nous connaissons aujourd’hui, offrant une diversité d’approches et de formats, bien avant l'explosion d'Internet.
Une régulation progressive
À partir de 1982, les radios libres ont été soumises à un cadre légal. Pour obtenir une fréquence, elles devaient faire une demande auprès des autorités de régulation (CNCL, puis CSA, aujourd’hui l’Arcom). Certaines ont survécu en devenant des radios associatives reconnues d’intérêt général (souvent subventionnées), d’autres se sont professionnalisées ou ont disparu. Aujourd’hui, d'après l’Arcom, 729 radios locales associatives subsistent en France. Elles sont souvent soutenues par les collectivités et jouent un rôle essentiel dans la vie des territoires.
La libéralisation des ondes a marqué un tournant historique dans l’histoire des médias français. Elle a permis l’émergence des radios libres, porteuses d’un renouveau démocratique, culturel et social. Ces radios ont su bousculer les normes établies, porter des voix nouvelles et défendre une information proche des citoyens. Leur héritage résonne encore aujourd’hui sur la bande FM, dans les studios associatifs, et même à travers les podcasts, webradios et le DAB+.
Rédigé par Luc Boué-Lahorgue