"Je ne savais rien" du projet mortifère d'Abdoullakh Anzorov, le jeune islamiste radical, assassin de Samuel Paty, a soutenu mercredi avec ténacité son ami d'enfance, Azim Epsirkhanov, jugé à Paris pour complicité dans l'assassinat du professeur d'histoire-géographie.
Premier des accusés à être interrogé sur le fond, Azim Epsirkhanov, 23 ans, est l'un des deux qui risquent le plus, soit la réclusion criminelle à perpétuité.
Il est accusé d'avoir aidé Anzorov à se procurer un couteau, retrouvé sur la scène de crime, près du corps du professeur décapité le 16 octobre 2020.
Il est également soupçonné d'avoir recherché une arme à feu, en vain, pour l'ami qu'il appelait "frère".
D'origine tchétchène comme Anzorov, Azim Epsirkhanov, arrivé en France avec sa famille en 2010 à l'âge de 9 ans, s'exprime d'une voix posée dans un français parfait. Veste bleue sur chemise blanche, le jeune homme qui rêvait "d'intégrer l'armée française" veut convaincre de son innocence.
Mais sa proximité avec Anzorov, notamment dans les jours précédents son crime, laisse l'accusation perplexe.
Alors que les enquêteurs ont déterminé qu'Anzorov avait "arrêté son projet" d'assassinat dès le 12 octobre, Azim Epsirkhanov et Anzorov seront en contact quasi constant du 13 au 16 octobre.
Pour autant, dit l'accusé, Anzorov "ne m'a jamais parlé du professeur (Samuel Paty), des caricatures ou du collège".
D'ailleurs, souligne le jeune Tchétchène, à cette époque il était "en froid" depuis un moment avec Anzorov. "On s'était perdu de vue" assure-t-il alors même, rappelle le président Franck Zientara, que les enquêteurs ont recensé 394 communications entre les deux hommes entre le 20 octobre 2019 et le 16 octobre 2020, le jour de l'assassinat de Samuel Paty.
La cour s'étonne que ce soit à lui qu'Anzorov s'adresse pour demander "en urgence" une arme à feu. "Il me l'a demandé à moi car mon cousin (Tamerlan Epsirkhanov) s'était vanté de pouvoir fournir une arme" à l'occasion des obsèques d'un Tchétchène assassiné lors d'un règlement de comptes entre Tchétchènes et "Africains" à Evreux le 25 septembre 2020.
"La communauté tchétchène avait peur", explique Azim Epsirkhanov.
Le cousin (retourné en Tchétchénie et qui a refusé de répondre à la convocation de la cour) n'a finalement pas fourni d'arme.
Avec son co-accusé Naïm Boudaoud, également poursuivi pour complicité d'assassinat, Azim Epsirkhanov a accompagné Anzorov dans une coutellerie de Rouen la veille de l'attentat.
- "Je t'aime mon frère" -
Au cours de son audition, la semaine dernière, la gérante de la coutellerie avait affirmé que les trois hommes avaient l'air "concerné" dans le choix du couteau.
"Anzorov avait expliqué que c'était un cadeau pour son grand-père", se souvient Azim Epsirkhanov. "D'ailleurs, précise-t-il, il avait demandé un emballage cadeau pour ce couteau".
Mais enfin, s'étonne le président, "arme, couteau... il n'y a pas une alerte" qui se déclenche ?
- "Non", répond l'accusé qui reconnait que cela aurait dû l'alarmer. "Mais que c'est plus facile à dire quand on connait l'issue" de la tragédie.
Concernant le couteau acheté par Anzorov, Azim Epsirkhanov se souvient seulement qu'il le trouvait "moche" et qu'Anzorov s'était montré "radin" pour un cadeau.
Le 16 octobre, avant de rédiger son texte de revendication, Anzorov envoie à Azim Epsirkhanov le message: "Je t'aime mon frère". L'accusé répond à son tour : "Je t'aime".
"Je pensais avoir retrouvé mon pote" après des mois de brouilles, explique-t-il.
"Pensez-vous avoir une part de responsabilité dans cette affaire ?", veut savoir l'avocat général Nicolas Braconnay.
"A posteriori... En fait, je ne sais pas si sans ma participation... Anzorov pouvait bien le faire tout seul. Est-ce qu'il a profité de nous ? Anzorov m'a demandé une arme, il nous a demandé de l'accompagner pour acheter un couteau. Il aurait pu faire ça tout seul", répond l'accusé.
"Je ne sais pas si aujourd'hui, je suis responsable d'une logistique. Je ne me sens pas responsable de ce qu'il a pu faire", ajoute-t-il, l'air épuisé après plus de 7 heures d'interrogatoire, alors que les avocats des parties civiles et ceux de la défense n'ont pas encore commencé à poser leurs questions.
La cour a prévu d'interroger Naïm Boudaoud, l'autre accusé qui encourt la perpétuité, jeudi.
Le procès est prévu jusqu'au 20 décembre.
Par Alain JEAN-ROBERT / Paris (AFP) / © 2024 AFP