Entre fabrique du doute et double discours, une étude analyse la position de Total face au réchauffement climatique. C’est une première : ces historiens de l'environnement se sont plongés dans un demi-siècle d’archives de la compagnie pétrolière et gazière.
"Les PDG d'Elf et EDF discutent des problèmes de l’effet de serre en 1968"
Total savait pour le réchauffement climatique, et ce dès les années 1970 et 1980. Comment peut-on affirme cela ? "On ne dit pas que Total savait tout, explique Christophe Bonneuil, directeur de recherche au CNRS et co-auteur de cette étude. Nous avons effectué une recherche historique sur ce que Total savait du réchauffement climatique depuis 50 ans, et sur ce qu’elle a fait de cette connaissance, qui a évidemment évolué au cours des cinquante dernières années". "Nous avons fait comme pour un travail d’historien tout à fait classique, estime-t-il. Nous avons fait un travail de vérité en s’intéressant à une diversité de façons de retarder ou bloquer un tournant vers la transition énergétique. Selon un rapport de l’ONU, nous allons produire deux fois trop d’énergie fossile d’ici 2030 comparé aux objectifs de Paris. Finalement, nous, les historiens, nous participons à ce débat en nous demandant comment on en est arrivé là, ce que les décideurs et politiques ont fait."
Que savait concrètement ce géant des énergies fossiles ? "On démarre à la fin des années 1960 et début des années 1970, avec par exemple un colloque de la DATAR dans lequel, sur cinq pages de compte-rendu, les PDG d'Elf et EDF discutent des problèmes de l’effet de serre en 1968, raconte Christophe Bonneuil. Nous avons aussi trouvé un article dans la revue de Total, une page entière qui explique en 1971 le phénomène de l’effet de serre, l’idée que l’on va avoir une réchauffement de plusieurs degrés au 21e siècle, les problèmes de montée des eaux et les conséquences humanitaires que cela pourra avoir. Il dit que 'les conséquences catastrophiques sont aisées à imaginer'."
"Comprendre ce décalage entre ce qui se dit en interne et en externe"
"On a donc alors déjà une excellente connaissance du phénomène général de l’effet de serre causé par les énergies fossiles, synthétise le co-auteur de cette étude. Des modèles de 1967 prédisaient +3 degrés au 21e siècle. Des alertes avaient été lancées, plus aux États-Unis qu’en France : dan un rapport remis au président Johnson en 1965, on trouve déjà un chapitre sur le réchauffement climatique, au milieu d’une série d’autres problèmes. À un moment, dans les années 1965-1972, le réchauffement climatique est déjà un objet de préoccupation."
"Ce qui a changé, c’est dans les années 1980, décrypte ce directeur de recherche au CNRS. Dans les documents internes, le phénomène est reconnu comme grave et certain. Mais dans les documents externes, par exemple au moment de la conférence de Rio, en 1991, le directeur environnemental de Total dit qu’il n’existe aucune certitude sur l’impact des activités humaines. Nous avons essayé de comprendre ce décalage entre ce qui se dit en interne, parmi les cadres, et en externe, vers l’opinion publique et les décideurs, pour freiner les décisions publiques."
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