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Interdite d'accoster en Europe, la frégate russe Shtandart navigue à vue

Depuis la poupe de son trois-mâts, le capitaine Vladimir Martus pousse un soupir de soulagement: après une vingtaine de jours en mer, la frégate russe Shtandart a enfin été autorisée à entrer dans un port de Quiberon (Morbihan) pour se ravitailler.

Pascal GUYOT - AFP/Archives

Depuis la poupe de son trois-mâts, le capitaine Vladimir Martus pousse un soupir de soulagement: après une vingtaine de jours en mer, la frégate russe Shtandart a enfin été autorisée à entrer dans un port de Quiberon (Morbihan) pour se ravitailler.

"C'est une excellente nouvelle. On va remplir les citernes d'eau, faire des courses", se réjouissait auprès de l'AFP le marin de 58 ans à l'annonce du feu vert des autorités. "L'équipage va enfin se dégourdir les jambes !"

Depuis fin juin, l'imposant voilier de 34 mètres de long, réplique d'un des plus célèbres navires du tsar russe Pierre le Grand, est sous le coup de sanctions européennes lui interdisant d'accoster en Europe, bien qu'il ait troqué son pavillon russe pour le pavillon des Iles Cook.

Une dérogation peut toutefois être accordée "pour des raisons humanitaires (ravitaillement en eau, vivres, et dispositifs de sécurité)", a indiqué la préfecture du Morbihan.

L'escale mercredi à Port Haliguen à Quiberon, décidée par un arrêté préfectoral, a duré quelques heures. "C'est mieux que rien", relativise César Vergeau, maître d'équipage. "J'en ai profité pour prendre une douche, acheter des friandises."

"On va enfin faire des petites réparations qui sont impossibles à réaliser sur le bateau quand on est en pleine mer", souligne-t-il. Car à force de ne pas pouvoir accoster, "le Shtandart s'abîme".

Le capitaine russe Vladimir Martus pose devant le voilier "Shtandart" amarré à Port-de-Bouc, dans le sud de la France, le 27 avril 2022

Pascal GUYOT - AFP/Archives

Les sanctions obligent désormais Vladimir Martus, capitaine et propriétaire du navire, à demander une autorisation aux préfectures pour tout mouillage et à les espacer de trois jours minimum.

Il doit aussi justifier toute demande d'accoster. "Nous avons besoin de vivres (urgent), d'eau (assez urgent)", avait-il affirmé, dans un échange avec les autorités locales consulté par l'AFP.

"La plupart du temps, on nous dit non". A son grand soulagement, la réponse, cette fois, a été positive après deux jours d'attente "interminable".

- "Des pirates!" -

Dans la baie de Quiberon, sur une mer d'huile, des vacanciers en voiliers et hors-bord s'approchent de la frégate pour la photographier.

"Des pirates!", s'exclament des enfants qui s'approchent avec leur moniteur de voile près de l'imposant trois-mâts dont la coque est peinte d'un jaune vif.

Le matelot Gauthier Aulen, 44 ans, l'un des 11 membres d'équipage, sourit et raconte l'histoire de la frégate: Pierre le Grand décide de construire une flotte de guerre moderne, après avoir travaillé incognito sur les chantiers navals d'Amsterdam.

Le Shtandart est la réplique fidèle de son "navire préféré" et depuis son départ de la Russie en 2009, il est devenu une figure incontournable des festivals maritimes, complète Vladimir Martus, dans sa cabine d'amiral où trônent un portrait du tsar, un faux perroquet et des icônes orthodoxes.

"Ici, on ne parle pas politique", explique Gauthier Aulen, "mais on est tous d'accord pour condamner la politique de Poutine".

- Tempêtes -

Les citernes d'eau remplies, le capitaine met le cap sur La Rochelle (Charente-Maritime), sans "grand espoir" cependant d'y faire escale.

"On y reste habituellement à quai pendant l'hiver. A la belle saison, on a des clients qui paient pour passer la journée ou une semaine en mer avec nous", explique le capitaine et propriétaire du navire. "Tout ça n'est plus possible désormais".

"Les sanctions pèsent sur le moral", soupire-t-il en regardant l'horizon. Sans ravitaillement régulier, pas de douche ni lessive sur le navire. Et les nuits de l'équipage sont écourtées par les quarts de garde, le Shtandart étant toujours en mer.

Pour autant, il refuse de partir hors Union européenne. "Notre équipage a un visa pour l'espace Schengen", dit-il.

Il préfère "attendre la réponse de la Cour européenne de Justice" auprès de laquelle il a déposé un recours.

Mais le temps presse: "en octobre, avec les tempêtes, le Shtandart ne survivra pas" s'il n'est pas à l'abri dans un port, prévient-il.

Soutenu par plusieurs associations de marins, le Shtandart est accusé par Bernard Grua, un entrepreneur nantais et principal opposant à la frégate, d'être "la plateforme idéale pour potentiellement faire du renseignement".

Une accusation balayée par plusieurs sources proches du dossier, dont l'une estime que la frégate, régulièrement fouillée par les gendarmes maritimes, "ne présente pas de menaces avérées pour la sécurité ou l'ordre public".

En Russie, la presse suit de près les mésaventures du Shtandart. Pour ne pas "mettre en danger (ses) proches restés" au pays, le capitaine veille à ne jamais prononcer le mot "guerre", passible de prison, explique-t-il à l'AFP.

L'invasion de l'Ukraine par Moscou est "une action militaire stupide" mais "quand tu n'es pas d'accord avec le capitaine, tu ne lances pas une mutinerie car c'est illégal. Tu quittes le navire".

"C'est ce que j'ai fait. J'ai quitté la Russie parce que je ne suis pas d'accord avec le capitaine actuel du pays. Je n'y retournerai pas".

Par Anaïs LLOBET / Quiberon (France) (AFP) / © 2024 AFP

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