Cinq ans après, ce que les "gilets jaunes" ont changé à la stratégie du maintien de l'ordre

Le mouvement des "gilets jaunes" a ouvert une crise majeure du "maintien de l'ordre à la française", sommé de se réinventer.

Theo LEGENDRE - AFP/Archives

Le mouvement des "gilets jaunes" a ouvert une crise majeure du "maintien de l'ordre à la française", sommé de se réinventer.

Désormais plus "mobiles" et "offensifs", policiers et gendarmes sont aussi accusés de plus de violences et de ne pas avoir tiré toutes les leçons de ces manifestations.

Samedi 1er décembre 2018, troisième "acte" de manifestations des "gilets jaunes" à Paris.

Des "gilets jaunes" lancent des barrières métalliques sur un véhicule de la gendarmerie lors d'une manifestation contre la hausse du coût de la vie, le 1er décembre 2018 à Paris

Lucas BARIOULET - AFP/Archives

Dans le quartier des Champs-Elysées, la manifestation dégénère comme rarement en France. Des dizaines de véhicules, plusieurs immeubles sont incendiés.

L'Arc de Triomphe est saccagé. Autorités et forces de l'ordre semblent dépassées.

"Des collègues se sont demandé s'ils allaient en sortir vivants", se souvient Grégory Joron, à la tête du syndicat Unité SGP Police-FO et ancien CRS.

Des manifestants se tiennent devant l'Arc de Triomphe après avoir écrit sur un mur du monument "Les gilets jaunes triompheront" lors d'affrontements avec les policiers anti-émeutes l 1er décembre 2018 à Paris

Geoffroy VAN DER HASSELT - AFP

La stratégie des forces de l'ordre, jugée trop statique, est au centre des critiques. Très vite, décision est prise de faire évoluer la doctrine française, qui repose sur la mise à distance.

Cette évolution s'inscrit dans une "sorte d'intolérance au désordre", relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de maintien de l'ordre.

Une voiture incendiée pendant une manifestation des "gilets jaunes" sur les Champs-Elysées, le 1er décembre 2018 à Paris

Alain JOCARD - AFP/Archives

"Aujourd'hui, un événement protestataire se déroule sur deux scènes: le pavé des rues, mais aussi les écrans des chaînes d'infos en continu. Le politique se sent obligé de réagir à la moindre image de désordre".

L'un des symboles de la nouvelle stratégie: la création des détachements d'action rapide (DAR), une unité de policiers motorisés.

Déployée dès le 8 décembre 2018, les DAR deviendront les Brav-M. La place de ces unités sera sanctuarisée dans le nouveau Schéma national du maintien de l'ordre (SNMO), publié en septembre 2020.

Des policiers à moto lors d'une manifestation des "gilets jaunes", le 20 avril 2019 à Paris

Zakaria ABDELKAFI - AFP/Archives

Tout de noir vêtus, remontant les rues sur leurs motos, les Brav interviennent lorsque les rassemblements dégénèrent et interpellent au cœur des cortèges.

L'unité, qui rappelle les controversés "voltigeurs" supprimés après la mort de Malik Oussekine en 1986, est accusée d'un usage excessif de la violence. C'est un "outil performant, nécessaire, mais à qui il faut tenir la laisse courte", estime un haut gradé de la préfecture de police de Paris.

Leur principal problème est la formation, ajoute Fabien Jobard. Ces unités "ont été formées aux violences urbaines, pas au maintien de l'ordre", à la différence des CRS ou des gendarmes mobiles, dont c'est la spécialité. "Est-ce qu'on va détacher un nombre suffisant d'heures pour les entraîner ? C'est absolument décisif".

- Manifestations plus classiques -

Le préfet de police de Paris Didier Lallement (c) rencontrent des policiers sur les Champs-Élysées,en prévision des manifestations de "gilets jaunes", le 23 mars 2019 à Paris

FRANCOIS GUILLOT - AFP/Archives

A Paris, un nouveau préfet de police, Laurent Nuñez, a remplacé à l'été 2022 Didier Lallement, qui était critiqué pour sa vision "musclée" du maintien de l'ordre. Les manifestations des derniers mois montrent une certaine inflexion de la stratégie policière.

Les forces de l'ordre sont moins visibles, souvent positionnées à plusieurs rues du cortège. "Elles sont plus dans le lointain, mais interviennent dès qu'il y a de la casse", décrypte le haut-gradé de la PP.

C'est aussi la conséquence d'un retour de manifestations plus classiques, à l'appel de syndicats ou d'organisations en lien avec les autorités. Une différence majeure avec les "gilets jaunes".

Des policiers CRS déployés lors d'une manifestation non autorisée de soutien aux Palestiniens, place du Châtelet, le 28 octobre 2023 à Paris

Des policiers CRS déployés lors d'une manifestation non autorisée de soutien aux Palestiniens, place du Châtelet, le 28 octobre 2023 à Paris

Bertrand GUAY - AFP/Archives

Dans les rangs policiers, certains estiment néanmoins que toutes les préconisations de la nouvelle doctrine ne sont pas appliquées.

"Il manque encore pas mal de choses", relève Jean-Paul Nascimento, de l'UNSA-Police, notamment sur la communication entre forces de l'ordre et manifestants, pourtant un point cardinal du nouveau SNMO. De grands panneaux lumineux pour prévenir des sommations avant dispersion tardent ainsi à être déployés.

Jean-Paul Nascimento déplore aussi un "sur-emploi des compagnies" qui les empêche de bénéficier de formations.

Grégory Joron, d'Unité, critique également une "dérive" vers un maintien de l'ordre "trop" et "mal" "judiciarisé": "on fait fausse route si le nombre d'interpellations devient un indicateur de la bonne gestion d'une manifestation (..) En général, ce n'est pas les plus aguerris qu'on attrape".

Heurts entre manifestants et CRS anti-émeutes à la Porte d'Aix,  le 30 juin 202 3à Marseille

Heurts entre manifestants et CRS anti-émeutes à la Porte d'Aix, le 30 juin 202 3à Marseille

CHRISTOPHE SIMON - AFP

A ses yeux, mieux vaudrait "travailler sur l'identification des radicaux, par exemple via les drones ou le marquage de synthèse (composé chimique restant sur peau et vêtements, ndlr), pour pouvoir les traduire devant la justice de manière claire et ferme. Quitte à aller les interpeller à 6H00 du matin le lendemain plutôt qu'au milieu de la manifestation".

Le syndicaliste estime aussi que l'ensemble des policiers devrait être formés au maintien de l'ordre.

Lors des violences urbaines du début de l'été, jusqu'à 45.000 policiers et gendarmes ont été mobilisés, dont un bon nombre n'ont jamais été formés à cette fin.

Par Tiphaine LE LIBOUX / Paris (AFP) / © 2023 AFP


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