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Jacky Lorenzetti : "Dan Carter vient pour gagner des titres"

Par Mathilde Régis

C'est le leader du Top 14 et le premier club français à se qualifier aux quarts de finales de la Coupe d'Europe. Cette année, tout semble sourire au Racing Club 92. De la signature pour trois ans du double champion du monde Dan Carter à l'ouverture de l'Arena, Jacky Lorenzetti, le président du club, raconte l'aventure "Racing". Il était l'invité de Judith Soula pour le Grand Entretien de Sud Radio Sports.

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Tout le monde est unanime : votre club a réussi son plus beau début de saison. Est-ce l'année du Racing 92 ?"Le début de saison est plutôt positif, mais le top 14 comporte 26 matchs de qualification, éventuellement des phases qualificatives. C'est pareil pour la coupe d'Europe. Aujourd'hui, on ne va pas bouder notre plaisir, c'est très satisfaisant d'être là où nous en sommes. Mais il ne faut surtout pas perdre le fil de la constance. C'est ce qui nous est arrivé l'année dernière donc on reste prudent."On a le sentiment tout de même que ce groupe est arrivé à maturité..."Oui pour plusieurs raisons. D'abord, les coachs en place depuis deux ans ont constitué un effectif avec des gens qu'ils connaissent bien. On a peu recruté l'année dernière donc le groupe est resté solidaire. Il y a eu aussi des apports qu'il ne faut pas mésestimés : de Dan Carter évidemment, mais aussi de Chris Masoe et de joueurs comme Ross Filipo en joker médical. Rémi Talès aussi a fait un très bon match ce week end."La campagne européenne a-t-elle aussi permis de faire grandir cette équipe ?"Mon challenge n'est pas de me faire plaisir à titre personnel, mais de construire quelque chose. Le résultat de cette année c'est 10 ans de travail, qui a commencé avec Pierre Berbizier et qui continue avec les deux Laurent (ndlr : les coachs de l'équipe). Cette maturité vient de là, et puis peut être aussi de l'effet challenge et haut niveau de la Coupe d'Europe. On voit que les matchs sont beaucoup plus rapides et nous tirent vers le haut."Qu'est-ce que ça vous fait d'entendre les confrères donner le Racing comme favori au titre ?"C'est un constat a double sens, c'est-à-dire qu'ils essayent aussi de nous déstabiliser. En nous mettant comme favori, peut être qu'ils se disent qu'on va péter les plombs comme les années précédentes et ne pas aller au bout. On va essayer de les faire démentir sur ce point-là."L'effectif semble beaucoup plus équilibré, c'est votre avis ?"Le groupe s'équilibre avec des jeunes. On a choisi de ne pas prendre de joker Coupe du Monde et de faire jouer douze jeunes de centre de formation qui ont été champions de France l'année dernière. Ce week-end encore vous avez pu voir Dupichot à l'oeuvre : il a 20 ans, il a marqué un essai remarquable et en a fait marquer un plein d’intelligence à Juan Imhoff. Il y a aussi Cedate Gomes Sa, Camille Chat, Xavier... Notre centre de formation a été élu deux fois le meilleur. Ce n'est pas pour rien donc on s'en sert ! Les jeunes ont boosté l'effectif et ont remué les vieux. Les anciens se sont régénérés parce que d'autres ont eu un peu plus de temps de jeu pendant la coupe du Monde. Puis les nouveaux sont arrivés. Tout ça nous a permis de tourner depuis le début de la Coupe du Monde. On a fait dix changements par rapport à la semaine dernière. On va en faire encore cette semaine. Les coachs ont compris que la fraîcheur physique comptait beaucoup."L'an dernier, les deux coachs Laurent Labit et Laurent Travers avaient déclaré avoir mal géré leurs effectifs…"On a fini sur les genoux..."Vous leur en avez voulu ?"Moi je ne m'occupe pas des sportifs, c'est leur domaine. Je n'ai pas de joueurs privilégiés, je ne compose jamais d'équipe. Je donne mon avis, mais je leur dis tout de suite d'oublier parce que c'est sûrement des bêtises. Comme ça on est d'accord, il n'y a pas de conflits d'intérêts."Qu'amènent les Néo-Zélandais dans cette équipe du Racing ?"Ils amènent ce que je n'ai jamais connu avec d'autres joueurs qui ne soient pas français. Pour eux, le rugby est une religion. Le maillot compte avant tout. Ils naissent avec le rugby, ils le pratiquent à l'école, ça fait partie de leurs corps. Ils ont deux mains plus un ballon de rugby qui est greffé quelque part. C'est ça qui fait la différence."Qu'est-ce qui est le plus fort chez vous, l'amour de la victoire ou la haine de la défaite ?"Très clairement les deux. On ne peut pas être le président des victoires, ni le président des défaites. C'est un tout. Il faut que ça reste du sport et non que ça devienne du business. Ce qui est merveilleux dans le sport c'est cette incertitude, c'est ça qui fait le sel. Malgré le degré de préparation, on ne sait jamais si l'on va gagner ou pas."Pendant les 10 ans à la présidence de ce club, avez-vous déjà douté ou eu envie de faire marche arrière ?"Je ne suis pas un président mécène. Je prends mon pied en construisant. Ce qui m'intéresse, c'est la construction Racing. Je ne serai jamais venu au rugby si je n'avais pas pu construire l'Arena. Il y a eu un moment où l’on a eu 23 recours, là j'avoue avoir pris un petit coup de barre, bien qu'étant professionnel. Mais je suis bien entouré, j'ai des équipes fabuleuses, et tous ensemble on a courbé l'échine, on a réussi à repousser ces recours et l'Arena va bientôt être livré. C'est une grande satisfaction."Depuis 6 ans, vous voulez aussi faire signer Dan Carter, le Néo-Zélandais double champion du monde. Vous avez réussi. Comment jugez-vous les débuts de votre star ?"Je voudrais déjà revenir sur l'annonce de l'arrivée de Dan Carter qui avait suscité quelques interrogations. Dan revenait de blessures et il n'avait encore rien remontré. On ne savait pas s'il pourrait redevenir le grand Dan. Il a été patient, il est revenu et il a fait la Coupe du Monde. Depuis qu'il est arrivé chez nous, c'est un régal, il n'y a pas d'autres mots. Sur le terrain, il est d'un altruisme total. Il n'hésite pas, avec énormément d'humilité, à conseiller ses coéquipiers. Il écoute aussi, il partage. En dehors du terrain il fait l'unanimité autour de lui. Il n'a qu'un seul défaut, c'est que l'on n’arrive pas à savoir lequel !"Cette signature, c'est une de vos plus belles satisfactions en tant que président ?"Non parce qu'à chaque fois qu'on fait signer un joueur on s'attend à ce qu'il apporte beaucoup à l'équipe. Et oui parce que Dan Carter est quelqu'un d'un peu mythique. C'était une satisfaction, et ça l'est encore plus aujourd'hui, car pour le moment ça paye."Quand les All Black ont été sacrés champions du monde en novembre dernier en Angleterre n'avez-vous pas eu peur que Dan Carter soit un peu démotivé parce qu'il avait tout gagné ?"On peut tout s'imaginer, mais j'ai été assez pugnace pendant 6 ans. Je ne veux pas dire que je le connais bien, mais j'ai apprécié l'homme. On a fait des stratégies ensemble qui n'ont pas marché parce ce que ça consistait à ce qu'il vienne puis reparte, qu'il soit un peu mercenaire. On a finalement fait quelque chose de simple, on l'a laissé se reposer après la Coupe du Monde. Il est revenu gentiment, les coachs ne l'ont pas blasé. Aujourd'hui il tourne, il est sorti à la cinquantième minute après avoir fait son boulot. On sait qu'il faut aussi qu'on le préserve."Vous avez évoqué avec lui la quête d'un titre ?"Dan ne vient pas pour être, avec tout le respect que j'ai pour les autres clubs, douzième ou treizième au classement. Il vient pour gagner des titres, pour être champion de France, pour être champion d'Europe."Au-delà des enjeux sportifs, faire signer Dan Carter, c'est aussi un enjeu marketing. Comment fonctionnez-vous avec lui par rapport à ça ?"Déjà il faut relever des contre-vérités. On a annoncé des chiffres exorbitants pour son salaire. Mais c'est le joueur le moins cher du Racing parce qu'il nous fait renouveler des contrats et nous fait venir de nouveaux partenaires. Mais aussi parce que l'Arena arrive et qu'il va nous aider à la remplir."Le fait qu'il soit là vous a fait sentir une hausse de fréquentation ?"Par rapport à nos prévisions oui. Aujourd'hui, on est à Colombes dans un cadre difficile, avec des accès qui ne sont pas faciles, un stade qui n'est pas ergonomique et peu confortable, mais historique. Mais on sent l'engouement, on sent qu'il y a beaucoup de demandes. On vend plus de maillots et plus de produits dérivés en général."Avez-vous eu peur que l'on vous reproche de rentrer dans un rugby marketing et que ça prenne le pas sur le sport ?"On a fait édicter une note à tous mes collaborateurs. Dan doit tenir ses engagements commerciaux qui répondent à un besoin financier, mais d'un autre côté, il est joueur de rugby. Il est venu comme joueur de rugby donc il faut faire l'équilibre entre les deux. Pour l'instant ça se passe très bien. Mais c'est un type qui a l'habitude, il signe des autographes et prend des photos comme vous et moi on se serre la main. C'est quelqu'un de très disponible, en plus il est affectueux, il aime les gens."Pourtant pendant longtemps au Racing - Pierre Berbizier aimait bien le rappeler - il n'y a pas de star, la star c'est l'équipe, là il y a une exception ?"Pierre a toujours raison. Une équipe de rugby c'est quinze bonshommes sur le terrain. S'il y en a qu'un qui joue et quatorze qui ne jouent pas, ça ne va pas. Il vaut mieux avoir quinze très bons joueurs plutôt qu'un exceptionnel et quatorze moyens. Tout le monde joue et tout le monde gagne."Mourad Boudjellal, le président du Rugby Club toulonnais a déclaré : "on centralise toutes les haines". Avez-vous le sentiment, quand vous faites signer un Dan Carter, que vous alliez peut-être centraliser la haine ou faire des jaloux ?"On ne va pas rengager la polémique avec le président toulonnais, on a notre part de parano comme tous. Quand je suis arrivé au Racing, René Bonnefont m'a offert un tableau qui est encore derrière moi. C'est un poème d'Antoine Blandin qui disait les raisons pour lesquelles il aimait le Racing. À la fin il disait : et j'aime aussi le Racing parce que partout où il va il est en but à la vindicte populaire !"Dan Carter a déclaré au journal l’équipe, où écrivait d'ailleurs Antoine Blandin, "aimer la truffe" vous lui inculquez la culture française ?"Ça fait partie de ses non-défauts : il aime manger et il aime boire. Il aime le vin comme le Bordeaux, ce qui me ravit. J'ai appris récemment qu'une fois par semaine il faisait le tour des bons restaurants français. Mais il n'est pas dans le « fat club », son niveau de masse graisseuse est très bon. Il prend aussi un cours de français tous les matins alors que normalement c'est deux fois par semaine. Il a repris des cours par rapport à tout le monde pour être compétitif plus tôt."Sa famille se sent bien ?"J'ai vu sa femme récemment elle a l'air ravi, les deux enfants sont bien intégrés, la vie est belle. Sa femme est d'ailleurs très sollicitée parce qu'elle a été championne de Nouvelle-Zélande de Hockey sur gazon. Là elle s'installe, mais je pense qu'au printemps elle va sans doute aussi porter le maillot cerclé. J'espère d'ailleurs qu'elle sera un peu moins chère que son mari !"Depuis 2006, vous travaillez au projet du nouveau stade de l'Arena. Quand sera-t-il livré ?"Ce n'est pas un stade, c'est une arène, tout le concept est différent. Construire un stade pour jouer 13 ou 16 matchs par an est une bêtise absolue. Nous construisons une salle de spectacle dans laquelle on va livrer un spectacle sportif. Ce sera un espace fermé où l’on va jouer sur du gazon synthétique comme ça se fait en Angleterre. Les travaux vont bon trains, normalement on sera livré au premier trimestre de l'année prochaine. On commence déjà à préparer les premiers spectacles et les premiers matchs."Vous aviez évoqué à l'époque vouloir inaugurer l'enceinte sportive avec les All Black, est-ce toujours d'actualité ?"On réfléchit à plein de choses. Le tarif des All Black est un peu dissuasif, et encore plus après leur dernier titre. On verra où on en est sportivement à ce moment-là. On ne veut pas que ce soit trop prétentieux non plus ou trop provocateur. Ce sera peut-être contre une grande équipe française, on va voir."Vous aviez aussi dit que l'Arena n'était pas un caprice, mais un besoin, un peu comme Dan Carter ?"Le principal c'est que ça reste. Je dirai que l'Arena est quelque chose de beaucoup plus fondamental. Dan Carter va passer, il va rester trois ans, puis on aura un autre Dan Carter."Vous êtes inquiet pour le rugby français ?"Je suis un peu iconoclaste dans le monde du rugby, peut-être parce que je n'ai jamais joué. Je trouve par exemple que les doublons, c'est formidable, puisque ça permet aux jeunes de jouer. Ça permet aux joueurs qui ont moins de temps de jeu de se proposer aussi. Je trouve que le rugby français va bien contrairement à ce qu'il se dit. Il y a huit ans, on fait les demi-finales, il y a quatre ans on est finaliste... Cette année, on est quart de finaliste même si l’on espérait mieux. Je crois qu'il ne faut pas tout tuer. Bien sûr il y a des choses à améliorer. On va voir ce qu'il va se passer pour ce tournoi des six nations. Mais je pressens que ce sera beaucoup moins catastrophique que ce qu'on pourrait imaginer."Vous seriez pour une meilleure visibilité du calendrier ?"Je pense qu'il faut qu'on joue plus. Ce serait mieux qu'on essaye d'harmoniser un peu plus le calendrier du Sud avec le calendrier du Nord, ça, c'est clair. Mais on a quand même trois compétitions phares en Europe : les Championnats domestiques, la Coupe d'Europe et le Tournoi des six nations pour les équipes nationales."Le Top 14 est-il le meilleur championnat pour vous ?"Et pas seulement parce qu'il fait jouer beaucoup de « stars » comme vous les appelez, mais parce que le championnat est passionnant. L'année dernière jusqu'au dernier match on ne savait pas qui allait descendre et qui allait monter."Vous n'êtes donc pas pour une réduction de ce Top 14 ?"Pas du tout. Je prêche pour un Top 16 et je prêche pour plus de matchs. On ne joue pas assez au rugby !

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