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Le discours de Ouagadougou et le faux procès en sorcellerie du discours de Dakar

Les commentaires ayant accompagné hier le discours adressé par Emmanuel Macron à Ouagadougou étaient peut-être plus intéressants que le discours lui-même. Avec une résurgence au procès intenté au discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007.

Emmanuel Macron à la tribune de l'Onu (©LUDOVIC MARIN - AFP)

À Ouagadougou, le président Macron a déclaré qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Mais que fait donc la France en Afrique, la France de ce président, comme avant lui celle de François Hollande, de Nicolas Sarkozy, de Jacques Chirac, de François Mitterrand, de Valéry Giscard d’Estaing, de Georges Pompidou et de Charles De Gaulle, sinon une politique africaine de la France ? Quelle que soit la relation personnelle qu’un président français entretenait avec le continent africain avant son élection, il ne peut échapper, une fois à l’Élysée, à la relation intime, parfois passionnelle et toujours profonde que l’Histoire a tissée entre ce continent et la France. Que fait la France au Sahel, sinon perpétuer cette relation ? Le sang versé par nos soldats sur le sol africain n’est-il pas, au fond, la contrepartie du sang versé par les tirailleurs africains sur le sol français lors des deux guerres mondiales ?

Que la colonisation soit regardée comme une faute par les hommes du 21ème siècle, et la traite négrière plus sûrement encore comme un crime contre l’humanité, ne change rien au fait qu’au-delà de la géographie (qui pèse lourd) et de la démographie (qui pèse encore plus lourd aujourd’hui), nos destinées se sont ainsi trouvées étroitement mêlées à jamais ? L’Afrique a appris de la France, et la France a appris de l’Afrique. Léopold Sédar Senghor, enfant de colonisés, Aimé Césaire, descendant d’esclaves comme Félix Éboué, gouverneur des colonies rallié à la France libre, font partie de notre Histoire et de notre culture. Parlant de ses compatriotes sénégalais, dont il fut le premier président, Senghor le poète, le condisciple de Georges Pompidou à l’École Normale Supérieure, qui écrivait en français des poèmes africains, disait : "Nous sommes des métis culturels".

Ce qui m’a frappé hier, ce sont ces bêtises à front de bœuf qui poussaient toute la journée des commentateurs de toutes sortes à grandir le discours présidentiel en rabaissant celui que prononça Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007. Qu’a donc dit hier Emmanuel Macron que Nicolas Sarkozy, s’adressant aussi à la jeunesse africaine, n’avait déjà – et parfois mieux – dit ? Sur la colonisation, sur la nécessité vitale pour l’Europe, l’Afrique, le monde et la France, d’une Eurafrique associant les deux continents sur un pied d’égalité pour peser sur l’économie globale et dans la civilisation mondiale ? Voilà ce qu’était le message de la France. A-t-il donc tellement changé ?

Le discours de Dakar disait en substance à la jeunesse africaine que tous les malheurs de l’Afrique ne venaient pas de la colonisation ou de la traite négrière, mais aussi de cet affrontement à l’intérieur même du continent entre les tenants de l’occidentalisme et du progressisme voulant éradiquer toutes les traditions, et les tenants de la tradition qui rejetaient tout apport extérieur que l’Histoire avait introduit sur ce continent. Il disait aussi qu’il n’y avait pas non plus le monde d’un côté, et vous de l’autre. Ce monde, c’est aussi le vôtre. S’il ne vous plaît pas, changeons-le ensemble. Il disait que l’Afrique devrait écrire elle-même sa propre Histoire. Il souleva la haine de tous ceux qui avaient fait de la victimisation de l’Afrique leur fond de commerce. On parla de racisme et de mépris, parce qu’à la suite d’Aimé Césaire, qui avait écrit "Laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’Histoire", il était dit que l’homme africain n’était pas encore assez entré dans l’Histoire. Qui peut prétendre aujourd’hui le contraire ? Les censeurs avaient dit qu’il n’y avaient pas une Afrique mais plusieurs, juste avant de publier un ouvrage collectif intitulé L’Afrique répond à Sarkozy. Hier, j’ai entendu les échos de ce mauvais procès en sorcellerie, et pourtant le message de la France n’avait guère changé sur le fond. Quant à la forme, question de goût sans doute. Quant aux sentiments, question d’humanité. 

Ce qui m’a le plus intéressé, ce n’était pas le discours du président, mais comment naît et se perpétue la désinformation. Comment prospèrent la caricature et le mensonge dans la société médiatique d’aujourd’hui. Un jour que je me plaignais à un journaliste d’une dépêche qui avait repris une phrase que j’avais prononcée et l’avait coupée en deux pour en changer le sens, il m’avait répondu ingénument : "Vous saviez bien que la phrase serait déformée, il fallait y penser en la disant". Hier, je me suis dit que je ne m’y ferai jamais.

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