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Stéphanie Gibaud : "À chaque fois, on met en doute l'honnêteté des lanceurs d'alerte"

Par Jérémy Jeantet

Stéphanie Gibaud, lanceuse d'alerte dans l'affaire UBS, était l'invitée d'André Bercoff sur Sud Radio à l'occasion de la sortie de son livre La traque des lanceurs d'alerte (éd. Max Milo).

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André Bercoff : Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ?

Stéphanie Gibaud : Un lanceur d'alerte est juste un citoyen qui dénonce des dysfonctionnements d'intérêt général. Chaque citoyen est potentiellement un lanceur d'alerte. Mon dossier particulier était un dossier d'évasion fiscale.

Est-ce que ça ne peut pas tourner à la dénonciation ? Comment faire la différence et le mur entre dénonciateur et lanceur d'alerte ?

Daniel Ibanez (Lanceur d'alerte dans l'affaire de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, NDLR) définit cela très bien. Il dit que c'est domme dans le train, où vous avez un signal d'alarme. Si vous tirez le signal d'alarme alors qu'il n'y a pas de danger, vous serez puni. Là, c'est la même chose. Si vous dénoncez quelque chose qui ne concerne pas l'intérêt général, vous avez des risques. On n'est pas là pour parler de ceux qui ont des actions qui discréditent les notres, mais pour parler de tous ceux qui sont à la fois des collaborateurs d'administrations, d'industries, d'entreprises, de laboratoire pharmaceutiques, des banques.

C'est l'indignation qui les prend au départ ? De ne pas vouloir être complice ou silencieux devant tel ou tel méfait ou tel ou tel dysfonctionnement ?

Mais quelle est la qualité première quand vous recrutez quelqu'un ? Ce sont ses qualités professionnelles, mais c'est aussi son intégrité, son honnêteté, son éthique. Ces gens, qui voient des comptabilités parallèles, de l'évasion fiscale, des médicaments qui tuent, se disent effectivement qu'ils ne veulent pas être complices de ça. Mais il ne s'attendaient pas à ce que leur tombe sur la tête tout le système judiciaire, avec une justice à deux vitesse, avec un monde du travail qui leur a tourné le dos. Aujourd'hui, la médiatisation des lanceurs d'alerte fait que tout le monde sur la planète est capable de nous contacter, une radio, un étudiant, une association. Les seules personnes qui n'ont pas été capables de venir vers nous sont les recruteurs, les cabinets de recrutement et les entreprises. On se demande très sérieusement pourquoi il y a des process qui font qu'on sort du monde du travail les gens honnêtes.

Mais vous savez très bien qu'une entreprise ne pense qu'à défendre ses intérêts. Quand vous repérez des dysfonctionnements, il ne vont pas vous dire 'Bravo, formidable'. Dans une entreprise, une administration, la raison d'État se met en travers de l'élucidation. Vous deviez vous attendre à une hostilité des gens que vous dénoncez, forcément...

En disant cela, vous entretenez le système. Tous ces hommes et ces femmes, ils sont 350 dans le livre, doivent être très choqués de ces propos. Ils ont tous été recrutés à des postes de déontologie. Je pense à Ida de Chavagnac, qui était analyste au Crédit Agricole et qui n'a pas voulu cautionner des notations que son supérieur hiérarchique lui demandait de faire. Un Français sur quatre est client du Crédit Agricole. On ment aux clients du Crédit Agricole. Cette femme a été licenciée, comme tous ceux qui se lèvent dans l'intérêt général. Est-ce que ce qui est important, dans ce cas-là, ce sont les clients du Crédit Agricole, ou les actionnaires du Crédit Agricole ? J'aimerais que tout le monde se pose des questions. Depuis dix ans, on met à chaque fois en doute notre honnêteté, notre intégrité, notre crédibilité. Alors qu'à nous, en tant que citoyen, on nous demande cela. Si vous grillez un feu rouge tout à l'heure, vous perdez X points et vous avez une amende. Donc ça suffit.

Qu'est-ce qui s'est passé, pour vous, à UBS ?

Moi, je n'ai pas voulu détruire des fichiers informatiques, des archives papiers, en juin 2008, suite à une perquisition à UBS, la banque de Jérôme Cahuzac et de feue Madame Bettencourt, pour situer le dossier. Au début, je me demandais surtout pourquoi on m'en voulait. J'étais sortie des réunions, je ne pouvais plus envoyer de mail, j'avais une nouvelle supérieure hiérarchique avec qui ça se passait très mal. Je pensais que le problème, c'était moi. Comme je suis quelqu'un de bien élevée, j'ai essayé de me remettre en question, jusqu'au moment où ça n'avait rien à avoir avec moi mais avec le métier qu'on m'avait fait faire depuis 8 ans. On me demande toujours pourquoi je n'avais pas parlé avant, mais je n'ai pas parlé parce que je ne savais, je n'avais pas compris. J'ai fait des recherches et à partir du moment où j'avais compris que mon métier servait essentiellement à mettre en relation des chargés d'affaires, des banquiers étrangers, suisses ou autres, sur le territoire français, avec des clients français, pour pratiquer l'offshore, je n'ai pas voulu être complice. Parce que je serais peut-être partie avec les menottes un matin à 5h00 devant mes enfants. Se taire, c'est être complice. S'ils se taisent pour couvrir les malversations de leurs employeurs, c'est eux qui risquent d'avoir des problèmes pénaux.

Écoutez l'émission André Bercoff dans tous ses états, avec son invitée, Stéphanie Gibaud

 

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