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Les gilets jaunes : la résurgence du populisme

Beaucoup d’observateurs sont désorientés par le mouvement des gilets jaunes, qui bouscule les clivages de la vie politique ordinaire. Beaucoup d’observateurs, mais pas moi. J'y vois une résurgence du populisme.

Contrairement à ce que l’on entend ici où là, ce mouvement social auquel nous assistons, est tout sauf inédit. Car du boulangisme à la fin du XIXème siècle jusqu’au poujadisme dans le courant des années 1950, la France a périodiquement connu des flambées de colères sociales similaires. Des flambées colères qui sont donc survenues à des époques très différentes les unes des autres mais qui présentent quelques points communs.

Le premier point, c’est que ce mouvement, comme ceux qui l’ont précédé, est composé d’individus. Ce ne sont pas des partis ; ce ne sont pas des syndicats qui manifestent. Ce n’est pas, comme on disait autrefois, le mouvement ouvrier organisé. Ce sont des individus, juste rassemblée par un ras-le-bol commun. Le deuxième point commun, c’est que le mouvement fait apparaître des clivages inhabituels. Ce n’est plus l’opposition classique des ouvriers face aux patrons ; des pauvres face aux riches. Non ! C’est la France d’en haut contre la France d’en-bas; c’est la France profonde contre les élites parisiennes. La France profonde, avec ce qu’elle peut avoir de plus généreux, la solidarité. Mais aussi avec ce qu’elle peut avoir de pire. Avec à la clef les quelques dérapages auxquels on a pu assister ce week-end. Dérapages homophobes, sexistes ou racistes. Le troisième point commun, c’est la détestation de l’impôt. C’est l’anti-fiscalisme. Car, il faut bien avoir cela à l’esprit. Dans les démocraties sereines, dans les démocraties apaisées, le consentement à l’impôt est le premier ressort du vivre-ensemble ; du pacte républicain. Alors quand l’impôt est à ce point détesté, c’est forcément que la République est malade. On l’a vu à l’époque du poujadisme, qui a pris son essor dans un combat contre les contrôles fiscaux – contre ce que Pierre Poujade dénomme la "Gestapo fiscale" ; et on le voit de nouveau aujourd’hui.

Et en utilisant ce terme de populisme, qui a un caractère péjoratif, je sais que j'ai l’air de rendre les manifestants responsables de la situation sociale dégradée. C’est évidemment l’inverse qui est vrai. C’est Emmanuel Macron, c’est le gouvernement qui est responsable de la situation. Primo - parce qu’il a relevé la CSG sur les retraités ; parce qu’il a pris une rafale de taxes dont celles sur les carburants ; parce qu’il multiplie les ponctions sur le pouvoir d’achat. Deuzio- parce qu’il l’a fait à la hussarde, avec autoritarisme, en bafouant toutes les règles de la démocratie sociale, en plaçant les syndicats dans une situation où ils ne jouent plus aucun rôle. Ce qui est évidemment une situation excessivement dangereuse, puisque du même coup le pouvoir n’a plus d’interlocuteur. Il faut donc dire les choses clairement : le risque gravissime du populisme, c’est le chef de l’Etat qui l’a pris lui-même, en déclenchant une colère sociale qui est légitime. Ou plutôt non : pas une colère sociale, au sens où on l’entend d’habitude. Bien plutôt… un mouvement d’exaspération radical. 

Je vous invite également à réfléchir à deux affaires, l’affaire Carlos Ghosn et l’affaire Tapie. Il y a deux liens entre ces deux affaires. Il y a d’abord un lien fortuit : par les hasards de l’actualité, elles arrivent en même temps sur le devant de la scène. C’est en effet hier que l’on a appris l’enquête ouverte par le fisc japonais visant Carlos Ghosn, sur des soupçons de dissimulation de ses revenus. Et c’est aujourd’hui que l’on saura enfin si le tribunal de commerce de Paris cesse de faire entrave à la justice et autorise l’exécution de l’arrêt qui voici 3 ans avait condamné Bernard Tapie à restituer les 404 millions d’euros du célèbre arbitrage frauduleux.

Le second lien, c’est le plus important. Car ces deux affaires permettent de mesurer la culture démocratique japonaise, et la culture démocratique française. Car dans un cas, au Japon, il suffit que le fisc japonais ait ouvert une enquête sur Carlos Ghosn pour que Nissan, dont il est le PDG, demande aussitôt sa destitution. Avant même donc qu’il ait été inculpé. Or, en France, quand un PDG est mis en cause dans une affaire qui touche à la moralité publique, quelle est la position de la puissance publique ? C’est l’affaire Tapie précisément qui en est l’illustration : la puissance publique est d’ordinaire solidaire du grand patron éclaboussé par un scandale.

Regardez en effet quelle est la situation du PDG du groupe Orange, Stéphane Richard, qui va être renvoyé en correctionnelle en mars prochain, dans le cadre de cette affaire Tapie, pour escroquerie en bande organisée et complicité de détournement de fonds publics. Quand il a été mis en examen, l’Etat, qui reste l’actionnaire principal du groupe, ne lui a pas demandé d’abandonner ses fonctions. Pis que cela ! Dans l’intervalle, Stéphane Richard a même été investit pour un deuxième mandat à la tête d’Orange.

L’enseignement de cette différence de culture démocratique coule de source et il a des effets ravageurs sur l’opinion : c’est qu’il existe en France une culture de l’impunité. C’est le propre des systèmes oligarchiques : les petites camarilla qui les composent survivent à toutes les alternances et ne sont jamais sanctionnées, quoiqu’elles fassent. Quels que soient leurs échecs, quelques soient même leurs fautes. Allez vous étonner ensuite que la France baigne par les temps qui courent dans un climat un tantinet populiste : cumulé à la dépression du pouvoir d’achat, c’est ce sentiment d’impunité qui alimente la colère sociale, et qui peut même déboucher, on le voit bien aujourd’hui, sur des formes d’exaspération radicale.

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