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Affaire Érignac : "Une atmosphère épouvantable dans la lutte antiterroriste à l’époque"

Par Benjamin Jeanjean

Journaliste d’investigation, Michèle Fines était présente aux première loges il y a 20 ans lors de l’assassinat du préfet Claude Érignac en Corse. Une enquête dont elle se souvient ce mardi au micro de Sud Radio.

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C’était il y a 20 ans tout juste. Le 6 février 1998, le préfet de Corse Claude Érignac était assassiné à Ajaccio par un commando nationaliste, assassinat qui donnera lieu à une enquête rocambolesque et à la traque pendant près de quatre ans d’Yvan Colonna, l’un des membres présumés du commando. Journaliste d’investigation présente en Corse à l’époque des faits, Michèle Fines se souvient des péripéties de cette enquête.

"Le préfet Bonnet, successeur de Claude Érignac, avait bénéficié d’une info venant d’une source nationaliste qui lui donnait la composition du commando Érignac. J’avais eu la même source. Un responsable de la mouvance nationaliste m’avait dit qu’il y avait Alain Ferrandi (le chef), Pierre Alessandri, Didier Maranelli, Marcel Istria, les frères Colonna (les fils de l’ancien député PS Jean-Hugues Colonna)… Que des noms que je ne connaissais pas. Stéphane Colonna, le frère d’Yvan Colonna, a été totalement mis hors de cause dans cette affaire. Martin Ottaviani, Joseph Versini, il y avait toute une liste… L’enquête s’est faite, c’était la première fois que les policiers ont réussi à remonter tout un commando grâce aux numéros de téléphone. Tous les coups de fil qui se sont passés le soir du crime ont été regardés, ce qui a permis les interpellations", se souvient-elle au micro de Sud Radio.

"Colonna ? Il vient de prendre un café, restez là il va revenir"

La journaliste se rappelle également de ces instants où le commando a été arrêté, mais pas (encore) Yvan Colonna. "J’ai su pour l’interpellation, je suis allé au domicile de Ferrandi et j’ai dit à mes sources policières : "Et Colonna ?". Il n’avait pas été interpellé et les quelques journalistes au courant ont été très étonnés, à tel point que le deuxième jour, j’ai pris un caméraman et je suis montée à Cargèse à 6h du matin en voulant trouver son domicile. Je vais au café, je demande où est le domicile d’Yvan Colonna, et on me dit : "Colonna ? Il vient de passer prendre un café, restez là il va revenir !". Moi je me dis que je ne peux pas rester, qu’est-ce que j’aurais pu lui dire : "Vous allez être arrêté" ? Je suis donc partie, et pendant ce temps-là les gardes à vue continuaient. On était samedi, le deuxième jour après les interpellations, et Yvan Colonna n’était toujours pas interpellé. La compagne d’une des personnes arrêtées donne alors une info très importante aux policiers en leur disant que le lendemain de l’assassinat du préfet Érignac, Yvan Colonna est venu chez elle très tôt pour voir son mari, ils lui ont demandé de sortir de la pièce et ont discuté. Cette info-là n’a pas suffi à faire interpeller Yvan Colonna le samedi", raconte-t-elle.

Les raisons de cette non-interpellation d’Yvan Colonna dans un premier temps suscite encore aujourd’hui des questions. "Certains ont dit qu’il y avait peut-être des accointances, que son père était député PS, qu’il avait été conseiller et qu’il était proche de certains responsables policiers. Est-ce de la diffamation ? Je n’en sais rien, on n’en aura jamais la preuve. Ce que les policiers ont dit, c’est qu’ils ont interpellé dans un premier temps les quatre personnages qui étaient en possession des téléphones, ce qui n’était pas le cas d’Yvan Colonna. Le problème quand vous n’interpellez qu’une partie d’une bande, c’est que vous courrez le risque que l’autre partie, qui va savoir qu’il y a eu des interpellations, se mette en fuite. En matière de technique policière, c’est très étonnant", souligne Michèle Fines.

"C’est très difficile de suivre quelqu’un dans le maquis"

Pour la journaliste, la longue durée de la cavale d’Yvan Colonna s’explique notamment par le manque de coordination des autorités policières. "Il s’en va et prend le maquis. Les policiers arrivent le lendemain et leur frère leur dit qu’il est parti aux chèvres. Et il est parti aux chèvres pendant quatre ans… C’est très difficile de suivre quelqu’un dans le maquis, il a bénéficié de soutiens. Il y avait aussi dans la lutte antiterroriste à l’époque une atmosphère épouvantable, les services de police ne s’entendaient pas du tout. Le patron de la Division nationale antiterroriste ne s’entendait pas avec les SRPJ locaux et les RG. Et pendant quatre ans, une partie des services de police chargés de la lutte antiterroriste n’ont pas fait tout ce qu’ils auraient pu faire pour trouver Yvan Colonna – ça, ils me l’ont dit – parce qu’ils ne voulaient pas favoriser la carrière du patron de la DNAT. Une fois que ce responsable policier a été écarté, Yvan Colonna a été arrêté", indique-t-elle.

Réécoutez en podcast toute l’interview de Michèle Fines dans le Grand Matin Sud Radio

 

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