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Promettre 57 milliards en cinq ans, ou l’art du faux-semblant des finances publiques

Le gouvernement vient d’annoncer un grand plan d’investissement de près de 57 milliards d’euros en cinq ans. Un plan en apparence très ambitieux, mais qu’il convient d’accueillir avec des (grosses) pincettes.

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Une fois de plus, un gouvernement annonce un plan d’investissement de 57 milliards en cinq ans, mais c’est plus une politique de communication qu’une politique économique. Incontestablement, c’est une bonne idée d’investir dans la réforme, et d’investir tout court. La dépense d’investissement est celle qui rapporte demain plus qu’elle ne coûte aujourd’hui, qui augmente les revenus futurs, qui accroît les équipements productifs et le capital humain (capacité à produire plus et mieux). L’investissement peut prendre bien des formes : éducation, apprentissage, formation, recherche, infrastructures... L’investissement, c’est le potentiel de croissance, le pouvoir d’achat et le bien-être de demain.

L’investissement, c’est l’avenir. La vraie réforme structurelle la plus décisive, ce n’est pas celle du marché du travail mais bien de l’investissement, qui change les structures productives. La politique d’investissement dépasse l’opposition idiote entre la politique de l’offre et celle de la demande, car l’investissement est à la fois l’offre et la demande. Donc le gouvernement a raison de s’engager dans cette voie, d’autant que la France souffre d’un retard dans ce domaine.

A-t-il les moyens de dépenser 57 milliards en cinq ans ? C’est là que le bât blesse, et il ne va d’ailleurs pas les dépenser. L’art des finances publiques est souvent un art du faux-semblant qui noie le poisson à coups de tours de passe-passe comptables. Prenons un exemple tiré de l’histoire récente. Quand Nicolas Sarkozy a lancé son idée de grand emprunt pour financer 35 milliards de programmes d’investissements d’avenir, une bonne partie de ce programme devait être consacré à doter les universités d’un véritable capital (les université devenues alors autonomes). Cela ne plaisait pas à une partie de l’administration et – disons-le – à une partie du gouvernement. C’est ainsi que les experts inventèrent de donner aux universités non plus un capital réel mais un capital fictif, dont on ne leur verserait réellement que les intérêts. C’était autant de moins à dépenser derrière l’illusion du capital qui n’existait pas.

Les finances publiques sont presque toujours une forme de mensonge ou d’illusion. Il est clair qu’on ne peut pas à la fois vouloir réduire massivement la défense publique et les déficits d’une part, et dégager des ressources supplémentaires pour financer un grand effort d’investissement d’autre part. Aussi, quand le Premier ministre lui-même annonce que son plan n’aura pas de conséquences sur le déficit, il annonce d’emblée que l’effort réel sera mince. On prendra d’une main ce que l’on aura donné de l’autre. On prendra des crédits sur les infrastructures pour les donner à la formation, on diminuera un poste pour en augmenter un autre, etc. Puisqu’il n’est pas question – heureusement – d’augmenter les impôts, comme les dépenses sociales ne baisseront pas rapidement tant que la croissance ne fera pas reculer massivement le chômage, et que pour avoir plus de croissance il faut d’abord plus d’investissement, comme on ne peut plus espérer beaucoup d’économies dans le fonctionnement de l’État, la seule solution pour investir beaucoup plus est d’emprunter, ce qui, contrairement à ce qu’il se passe dans une entreprise, creuse automatiquement le déficit des finances publiques. Or, le gouvernement exclut cette hypothèse. Il faut donc bien se demander si, une fois de plus, ce plan d’investissement n’est pas un trompe-l’œil. Le gouvernement ne ment pas, il est juste noyé dans les illusions comptables et il fait de la com’.

Il se ligote lui-même : s’il sacrifie l’investissement au désendettement, il sacrifie comme on le fait depuis trop longtemps l’avenir au passé. C’est sans issue. Bien sûr, il peut utiliser d’autres moyens détournés, comme par exemple donner des garanties à des organismes qui peuvent emprunter à sa place. Simplement, ces organismes devront intervenir par des prêts et non pas par des apports en capital ou en fonds propres. Ce n’est donc pas du tout la même chose que des crédits budgétaires. Ces 57 milliards, ce sont des choux et des carottes qu’on additionne.

Nous verrons bien comment à travers les tours de passe-passe de la comptabilité publique, le gouvernement trouve des moyens pour financer un peu de cet investissement supplémentaire dont la France a tant besoin si elle veut un jour pouvoir rétablir ses équilibres sociaux, économiques et financiers.

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